L’autodétermination et la gouvernance sont des droits et des aspirations clés pour les Premières Nations, les Inuit et les Métis face aux changements climatiques. Nous devons reconnaître la manière dont les impacts des changements climatiques influent sur notre capacité à déterminer notre propre avenir, à nous gouverner nous-mêmes et à adapter nos structures de gouvernance aux impacts des changements climatiques et nous devons prendre des mesures à cet égard. 

Nous avons le droit à l’autodétermination, et nous avons le droit de nous gouverner nous-mêmes et d’exercer nos droits pour le bien-être de nos vies, de la terre, de l’eau et de la glace, ainsi que pour les générations futures et toutes les formes de vie. Dans le contexte des changements climatiques, les approches passées en matière de recherche, d’enquête scientifique, d’évaluation, de conception et de mise en œuvre de programmes, de financement et d’élaboration de politiques n’ont pas été menées par nous. 

Cette situation est en train de changer. Nous faisons preuve de leadership et d’innovation en matière de recherche, de politique et d’actions climatiques pour tenir compte de nos réalités et de nos expériences. Ces processus génèrent des connaissances et des actions qui orientent les réponses aux impacts des changements climatiques touchant nos collectivités. Au sein de diverses sociétés autochtones, les femmes, les jeunes et les personnes issues de la diversité des genres assument également des rôles de leadership et définissent l’action climatique. 

Les changements climatiques influent sur notre capacité à nous gouverner et perturbent nos relations avec le monde naturel. À mesure que nous avançons dans l’avenir, nous devons adapter nos structures de gouvernance pour maintenir et transformer les processus de prise de décisions dans l’intérêt de tous. Il est essentiel que nos gouvernements conservent leur autorité et leur compétence sur nos terres, nos eaux, nos glaces et nos territoires, et qu’ils maintiennent notre capacité à exercer nos droits et nos responsabilités.

9.1

Introduction

L’autodétermination autochtone est essentielle pour une assurer une adaptation efficace et pour lutter activement contre les impacts combinés des changements climatiques et des formes historiques et actuelles de colonialisme. Le soutien à l’autodétermination autochtone, la reconnaissance des droits des peuples autochtones et le soutien à l’adaptation fondée sur les connaissances autochtones sont essentiels à la réduction des risques liés aux changements climatiques et à la réussite de l’action climatique (Bird, 2021; Dawson et coll., 2020; Gunn, 2020; Townsend et coll., 2020).

Jusqu’à récemment, la réponse la plus courante à l’impact des changements climatiques sur la vie des peuples autochtones consistait à participer à l’élaboration de réponses locales, régionales, nationales et internationales aux changements climatiques (p. ex., accords, plans, politiques et stratégies). Actuellement, les Premières Nations, les Inuit et les Métis élaborent leurs propres lois ainsi que leurs propres stratégies et initiatives climatiques en s’appuyant sur leurs connaissances, leur gouvernance, leurs lois et leurs systèmes juridiques (voir l’étude de cas 10, l’étude de cas 11 et l’étude de cas 12). Les jeunes articulent leurs réponses et relèvent des voies pour un avenir autodéterminé (Yukon First Nations Climate Action Fellowship, 2023; Lim with Ɂehdzo Got’ı̨nę Gots’ę Nákedı [Sahtú Renewable Resources Board] et The Pembina Institute, 2014).

Malgré les obstacles au leadership autochtone dans les approches actuelles relatives aux changements climatiques, l’apprentissage à partir de cadres dirigés par des Autochtones peut soutenir la gouvernance climatique autochtone. Il s’agit notamment de reconnaître que la politique climatique doit faire ce qui suit : donner la priorité à la terre et mettre l’accent sur le rétablissement de l’équilibre avec celle-ci; fonctionner de nation à nation; reconnaître le droit à l’autodétermination; permettre de générer des connaissances autochtones et de donner la priorité à celles-ci; favoriser la gouvernance autochtone; et faire progresser les actions climatiques intégrées et interdépendantes.

Illustration monochrome à l'aquarelle d'un caribou que l'on voit marcher dans la neige, vue à vol d'oiseau. Conçue par l'auteur, l'artiste et le chercheur en climatologie Gitxsan Hetxw'ms Gyetxw (Brett D. Huson).

Illustration monochrome à l'aquarelle d'un caribou que l'on voit marcher dans la neige, vue à vol d'oiseau. Conçue par l'auteur, l'artiste et le chercheur en climatologie Gitxsan Hetxw'ms Gyetxw (Brett D. Huson).

Illustration monochrome à l'aquarelle d'un caribou que l'on voit marcher dans la neige, vue à vol d'oiseau. Conçue par l'auteur, l'artiste et le chercheur en climatologie Gitxsan Hetxw'ms Gyetxw (Brett D. Huson).

Joncs rouges monochromes. Conçu par Hetxw'ms Gyetxw (Brett D. Huson)

9.2

Gouvernance, autodétermination, droit et systèmes juridiques autochtones

Les peuples autochtones ont une longue histoire de systèmes de gouvernance pour gérer leurs terres, leurs ressources et leurs relations avec les autres êtres (Whyte, 2017a). Grâce aux connaissances adaptées au milieu, de nombreuses collectivités possèdent une capacité bien développée à s’adapter aux changements environnementaux et climatiques (Whitney et coll., 2020). Les systèmes de gouvernance (voir le tableau 2) varient d’une nation et d’une collectivité à l’autre, mais ils sont généralement structurés par des réseaux de responsabilités mutuelles partagées entre les humains, la terre et les êtres au-delà de l’humain (Whyte, 2016). Dans le domaine de l’environnement, la gouvernance comprend des systèmes qui vont des coutumes aux processus et qui permettent de coordonner la réalisation de résultats environnementaux, tels que la pureté de l’air et de l’eau et l’exploitation des ressources (Whyte, 2016). Ces processus permettent de faire ce qui suit : surveiller les changements climatiques, atténuer les impacts et s’y adapter, assurer la résilience climatique (Wale, 2022; Lindenmayer et Likens, 2010).

Il existe d’autres formes de gouvernance autochtone (voir le tableau 2) qui portent sur des questions environnementales générales plutôt que sur des objectifs climatiques particuliers. Leurs structures peuvent se fonder sur une planification descendante, sur des partenariats de collaboration ou même sur des actions climatiques menées par les Autochtones.

Tableau 2

Gouvernance environnementale autochtone

Type d’initiative Exemples et références
Programmes de tutelle environnementale Étude de cas 8; Reed et coll., 2021a
Cogestion des ressources et de la pêche Galappaththi et coll., 2022; Stefanelli et coll., 2019; Snook et coll., 2018b; Armitage et coll., 2011
Rédaction de lois Listuguj Mi’Gmaq Government, 2019; Cornell et coll. 2010
Activités de conservation de milieux marins Ban et coll., 2019
Plans d’utilisation des terres Dehcho First Nations et coll., 2016
Plans de reprise après sinistre Yellow Old Woman-Munro et coll., 2021
Ententes et activités de gouvernement à gouvernement Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, 2023
Négociations de traités modernes et processus de revendications territoriales Curran et Napoleon, 2020
Ententes de conservation Entente sur l’aire marine Gwaii Haanas 2010 et Great Bear Rainforest Agreements (ententes sur la forêt pluviale de Great Bear)
Évaluations environnementales communautaires Nation Tsleil-Wautuh, 2021; Morales, 2019
Législation communautaire Régime de la Loi sur la gestion des terres des premières nations ; Curran et Napoleon, 2020; étude de cas 10
Politiques de gestion Évaluation de la mine Ajax par la nation Stk̓ emlúpsemc te Secwépemc (SSN) en Colombie-Britannique; résumé de la décision Ajax de la SSN, 2017
Politiques de conservation Stratégie crie de conservation régionale élaborée par le Comité Eeyou sur les aires protégées; gouvernement de la nation crie, 2015
Gestion des incendies et des forêts par brûlage culturel Nikolakis et Ross, 2022
Ententes sur les impacts et les avantages conclues avec des entités privées Richardson, 2008

Alors que les changements climatiques transforment les paysages autour des collectivités autochtones, ils touchent également les traditions juridiques des peuples autochtones et capacité à les transmettre. Il est essentiel de comprendre que les lois et les systèmes juridiques autochtones sont étroitement liés à la terre, à l’eau et à la glace, ainsi qu’aux pratiques qui s’y déroulent, telles que la chasse, la pêche, la cuisine et les pratiques médicinales. Asch et coll. (2018), s’appuyant sur les enseignements de l’Aîné Basil Johnston, décrivent ce concept par le terme akinoomaagewin; ce qui signifie « … nous apprenons à bien vivre en accordant notre attention à la Terre et en nous laissant guider par elle » (p. 51). Luschiim, Aîné Cowichan, explique comment la terre est inextricablement liée à la transmission du droit ou à la manière dont le snuw’uyulh (droit) est enseigné, affiné et étudié dans la tradition juridique des Salish de la côte : « La terre ouvre la porte à notre snuw’uyulh. Elle nous donne l’occasion d’apprendre. Pour moi et ma famille, le fait d’être sur les terres nous permet de partager notre snuw’uyulh. En y repensant, il y a tant d’années, c’est ce qu’elle a fait pour moi. Lorsque mon arrière-grand-père Luschiim venait nous rendre visite, après s’être assis avec nous pendant un certain temps, il nous emmenait toujours en promenade (moi et ma sœur) et c’est là qu’il partageait le snuw’uyulh. À l’époque, je ne savais pas pourquoi il faisait cela. Mais quand j’y pense maintenant, en relation avec mes expériences avec mes propres petits-enfants, cela devient clair. Vous voyez, je peux m’asseoir ici, comme nous le faisons, dans la maison et parler de ces choses, mais il y a toujours des choses que vous pouvez manquer. Mais lorsque je suis dans les montagnes ou sur l’eau salée, cela m’ouvre les yeux sur ce que je devrais partager. Ce que je devrais partager avec eux en ce moment » (Morales et coll., 2016, p. 115).

Les impacts des changements climatiques sur les stocks de saumon rouge dans le monde salish de la côte en sont un exemple. Si les peuples autochtones n’ont plus accès au saumon rouge, ils perdent non seulement une source de soutien alimentaire, mais aussi les enseignements immatériels (lois et pratiques juridiques) associés à cette ressource. Ils perdent la capacité de transmettre les enseignements du partage, de la réciprocité, de la responsabilité et de l’intendance, en ce qui concerne le saumon rouge. Il existe d’autres exemples liant la terre aux lois et à d’autres enseignements : les sites de pêche considérés comme des portails sacrés permettant d’accéder aux ancêtres Stó:lō (voir l’étude de cas 5.1 dans RPR-5; Kelly, 2017), le rôle du sirop d’érable dans la vision du monde des Algonquins (Corbiere, 2011), le récit de la création des Lakotas, des Nakotas et des Dakotas, lequel est lié au bison et à la chasse au bison (Macdougall et St-Onge, 2013; Deloria, 2006) et, dans un contexte inuit, l’optique d’équilibre et l’Inuit Qaujimajatuqangit (Rahm et coll., 2017).

L’auteur, théologien et historien autochtone Vine Deloria Jr. a confirmé la relation particulière entre les peuples autochtones et leurs espaces territoriaux lorsqu’il a déclaré que « les peuples autochtones accordent souvent plus d’importance au lieu et à l’environnement qu’ils occupent qu’au temps au sens occidental du terme » (Deloria Jr., 1973). Ainsi, notre lien permanent avec la terre et l’accomplissement de notre rôle au sein de cette relation permanente sont centrés sur notre environnement particulier et les relations connexes. Comme on peut le constater, la pratique du droit est fortement touchée lorsque les changements climatiques modifient les paysages et les ressources naturelles dont dépendent les peuples autochtones.

9.3

Impacts des changements climatiques sur la gouvernance autochtone

Whyte (2016) a introduit le concept de « déjà-vu colonial » pour caractériser la façon dont l’injustice climatique s’inscrit dans une histoire cyclique et plus large de changements anthropogéniques induits par le colonialisme, l’industrialisme et le capitalisme. Cet héritage cyclique et structurel s’est également manifesté par la suprématie d’un système de connaissances et sa définition du « problème » climatique, système qui empêche les discussions sur les causes profondes de la crise de la biodiversité et du climat (Stoddard et coll., 2021). En outre, il s’est manifesté dans la conception et la mise en œuvre des cadres actuels de gouvernance environnementale. Par exemple, Mackey (2016) décrit comment certains concepts fondamentaux de propriété, de séparation et d’amélioration qui sous-tendent la pensée scientifique occidentale (et par conséquent la gouvernance environnementale) diffèrent des modes de connaissance autochtones. Lorsque les régimes de gestion ou de gouvernance reposent sur ces idéologies, les droits inhérents des peuples autochtones sont supplantés, éclipsés et écartés (Walsey et Brewer, 2018). Malheureusement, la participation des Autochtones est limitée en raison du déséquilibre des pouvoirs et des différences dans les visions du monde (p. ex., la science occidentale met l’accent sur les faits, alors que les systèmes de connaissances autochtones mettent l’accent sur les relations) (Littlechild, 2014). À cet égard, Whyte (2019) examine comment ces différences, notamment la façon dont les « solutions » climatiques ne tiennent pas compte du rôle essentiel des relations, y compris celles avec notre famille au-delà de l’humain, poussent la société au-delà d’un point de basculement à la fois écologique et relationnel.

Jusqu’à récemment, la réponse la plus courante aux impacts des changements climatiques sur la vie des peuples autochtones consistait à faire participer des Autochtones à des approches climatiques menées par d’autres intervenants. Cela s’est avéré insatisfaisant (Indigenous Climate Action, 2021a; Reed et coll., 2021b). Il existe peu d’exemples officiels et publics d’affirmations autochtones de gouvernance climatique et d’autodétermination. La Stratégie nationale inuite sur les changements climatiques (ITK, 2019a) en est un exemple. Cette stratégie montre comment les peuples autochtones s’efforcent d’aborder les questions liées aux changements climatiques, de l’échelle locale à l’échelle mondiale, selon leurs propres conditions, et de créer des initiatives d’adaptation efficaces répondant aux besoins et aux priorités de leurs collectivités (ITK, 2019a). Un exemple plus régional est la British Columbia First Nations Climate Strategy and Action Plan (British Columbia Assembly of First Nations, 2022), créés avec les Premières Nations de la Colombie-Britannique et fondés sur les connaissances, les principes et les visions du monde autochtones. L’objectif de cette stratégie est de : « relever des stratégies et des actions visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à renforcer le leadership climatique autochtone en Colombie-Britannique, à réduire la vulnérabilité aux impacts et à renforcer les capacités, la compréhension et la résilience des collectivités des Premières Nations. Cette stratégie a pour but d’aider à orienter les interventions relatives au climat tout en communiquant les domaines prioritaires aux gouvernements et aux partenaires. Cela rappellera également aux gouvernements et aux partenaires qu’une action climatique réussie n’est possible que lorsqu’elle est créée conjointement avec les Premières Nations, de manière à protéger et à renforcer les titres, les droits et les compétences, et lorsque les connaissances autochtones et les liens uniques avec les territoires sont respectueusement reconnus et entièrement intégrés dans tous les aspects de la planification et de l’action climatique » (British Columbia Assembly of First Nations, 2022).

Pour soutenir la gouvernance climatique autochtone, les Premières Nations, les Inuit et les Métis élaborent leurs propres outils climatiques culturellement pertinents et dispensent des formations aux jeunes, aux activistes et aux dirigeants communautaires (voir les travaux du Centre for Indigenous Environmental Resources et de l’Arctic Institute for Community-Based Research, par exemple). La Métis Nation British Columbia (MNBC) a donné un exemple remarquable en organisant une série d’ateliers virtuels sur la préparation aux changements climatiques, intitulée Strengthening Our Resilience to Climate Change (MNBC, 2021). L’objectif de cette série était de partager les connaissances, les compétences et l’expérience de plusieurs générations, afin de favoriser la prise de bonnes décisions dans un climat changeant (voir le graphique à la page 5, MNBC, 2021).

L’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) a élaboré la boîte à outils du Bureau de la conservation de l’environnement et des changements climatiques (BCECC) intitulée Impact of Climate Change on Indigenous Women, Girls, Gender-Diverse and Two-Spirit People (AFAC et BCECC, 2022). L’objectif de cette boîte à outils est de générer des connaissances climatiques qui tiennent compte de la diversité des genres afin de soutenir la prise de décisions. Le lancement par Indigenous Climate Action du programme Indigenous Climate Leadership et de la boîte à outils connexe est un exemple clé de l’autodétermination climatique au niveau local. Ce programme et cette boîte à outils visent à mettre en place des actions climatiques dérivées des collectivités et dirigées par elles (Indigenous Climate Action, 2021c). Enfin, la First Nations Health Authority (FNHA) dirige et administre un programme de financement communautaire axé sur les changements climatiques : le Programme d’action pour la santé des autochtones qui soutient le leadership des Premières Nations dans la réduction des répercussions des changements climatiques sur la santé. Les projets menés dans le cadre de ce programme peuvent soutenir la santé face aux changements climatiques en général ou l’élaboration d’une stratégie ou d’un plan d’action visant à réduire les effets des changements climatiques sur la santé communautaire (First Nations Health Authority, s.d.).

9.4

Gouvernance autochtone adaptative face aux changements climatiques

9.4.1 Occasions dirigées par des Autochtones et reconnaissance significative

Lorsque les politiques et les programmes relatifs aux changements climatiques sont contrôlés par les peuples autochtones plutôt que par une entité extérieure, les résultats sont radicalement différents (Thompson et coll., 2020). Cependant, pour que les actions climatiques contrôlées par les Autochtones portent fruit, il faut prévoir assez de fonds et de ressources. Sans un soutien et un investissement adéquat de la part des gouvernements, sans conditions paternalistes, même les actions climatiques les plus efficaces et les plus prometteuses menées par des Autochtones se heurtent à des difficultés.

Parmi les exemples d’actions climatiques menées par des Autochtones, citons l’exploitation indépendante de ressources renouvelables (Stefanelli et coll., 2019), des programmes de reprise après sinistre (Yellow Old Woman-Munro et coll., 2021), ainsi que la codification et l’application de lois autochtones, telles que la Great Resource Law du Grand conseil du Traité no 3 et la Manito Aki Inakonigaawin, qui garantissent le devoir de respecter et de protéger les terres susceptibles d’être touchées par la surexploitation, la dégradation et les processus contraires à l’éthique. La Nation Tsleil-Waututh, en Colombie-Britannique, a réalisé sa propre évaluation environnementale du projet d’extension du réseau d’oléoducs Trans Mountain par Kinder Morgan en utilisant sa politique de gestion comme cadre d’évaluation. Cette politique repose sur les principes juridiques des Tsleil-Waututh et des Salish de la côte et fournit une liste d’obligations d’intendance propres aux sites et aux espèces (Curran et Napoleon, 2020). En outre, le système de rétablissement après des inondations de la nation Siksika en Alberta est centré sur le principe juridique de l’Ispommita, qui relie les membres de la collectivité et crée une appartenance partagée en réponse aux répercussions des catastrophes causées par les changements climatiques (Yellow Old Woman-Munro et coll., 2021).

Pour assurer la réussite de ces types de programmes, il faut reconnaître les nations autochtones à leur juste valeur ainsi que leur droit à l’autodétermination (N. Wilson et coll., 2018). Les colons doivent faire leur part pour respecter les relations foncières autochtones, honorer les obligations légales, restaurer la gouvernance et prendre des mesures pour garantir une relation respectueuse (Irlbacher-Fox et MacNeill, 2020). La délégation de responsabilités aux peuples autochtones, comme le transfert de zones de droits maritimes coutumiers aux peuples autochtones (Fischer et coll., 2022), est indispensable à la reconnaissance efficace des droits et des nations autochtones. Le résultat optimal est une autodétermination durable, selon laquelle les nations ont la capacité de gérer les ressources et les terres selon la gouvernance traditionnelle (Cameron et coll., 2019). Les programmes climatiques menés par les Autochtones peuvent ensuite établir des normes pour les entités étatiques en matière de gestion des ressources et des terres (Curran et Napoleon, 2020). En outre, ils commencent à réduire le contrôle gouvernemental en faveur de la gouvernance environnementale autochtone (Curran et Napoleon, 2020).

En ce qui concerne la recherche, les cadres conçus par les Autochtones s’appuient sur le droit traditionnel et garantissent davantage de contrôle et d’autonomie sur la collecte de données au sein des collectivités (Reid et coll., 2021). Les peuples et collectivités autochtones participent à la recherche sur les changements climatiques et à des projets et initiatives axés sur les énergies renouvelables (CBC News, 2022; Hoicka et coll., 2021; Mercer et coll., 2020a; 2020b; 2020c; Stefanelli et coll., 2019; McDiarmid, 2017), l’amélioration de la sécurité alimentaire (Johnston et Spring, 2021; Desmarais, 2019; Lee et coll., 2019; Delormier et coll., 2017), la surveillance des répercussions des changements climatiques (N. Wilson et coll., 2018), en s’appuyant sur les connaissances traditionnelles pour combattre la crise climatique et s’y adapter (Thompson et coll., 2019; Pearce et coll., 2015; Reid et coll., 2014), et en mobilisant des jeunes, des femmes, des Aînés et la collectivité pour renforcer les connaissances et l’action climatiques (Whitney et coll., 2020; Arruda et Krutkowski, 2017; MacDonald et coll., 2015; Allen et coll., 2014; Big-Canoe et Richmond, 2014; Dowsley et coll., 2010).

9.4.2 Collaboration, approches plurielles et partenariats

Les approches collaboratives pour répondre à la crise climatique qui intègrent les systèmes de savoirs autochtones et occidentaux sont des structures bénéfiques pour faciliter la gouvernance climatique autochtone (Ermine, 2005). Ces approches offrent divers avantages, dont celui de favoriser l’autodétermination (Cameron et col., 2019), de réduire la dépendance envers les administrations publiques (Cameron et coll., 2019), et d’établir des priorités communes reposant sur la nécessité d’adopter des approches holistiques et intégratives et de tenir compte des différences complémentaires entre les deux systèmes de savoirs (Thompson et coll., 2020).

Parmi les exemples de modèles stratégiques axés sur la collaboration figurent les ententes de partage des ressources entre nations, la cogestion des terres et des ressources océaniques, les cadres juridiques pluralistes et les programmes autochtones de protection de l’environnement (voir l’étude de cas 14). L’Entente sur l’aire marine Gwaii Haanas (« l’Entente ») de 2010 élargit les responsabilités partagées en matière de planification, d’exploitation et de gestion coopératives de la première réserve d’aire marine nationale de conservation du Canada (Curran et Napoleon, 2020). Cette Entente désigne explicitement les Haïdas comme partenaires à part entière et précise que la relation échouera si l’une des parties exerce unilatéralement sa compétence (Curran et Napoleon, 2020). Contournant les autorités étatiques, les peuples autochtones ont également conclu des ententes sur les répercussions et les bénéfices avec les promoteurs industriels, afin de prévenir et de réduire les effets négatifs de projets industriels et d’assurer la distribution des bénéfices aux collectivités (Bowie, 2013).

Plusieurs mises en garde ont été formulées dans les études concernant les approches collaboratives et la cogestion. Premièrement, le pluralisme juridique et la collaboration peuvent perpétuer le « centrisme juridique », selon lequel les systèmes juridiques et les connaissances autochtones sont éclipsés par les systèmes juridiques dominants (Richardson, 2008). Deuxièmement, il reste à savoir si les systèmes de savoirs autochtones et la science occidentale peuvent être présentés comme égaux au sein d’une structure commune (voir l’étude de cas 14). Comme l’ont déclaré Fischer et coll. (2022), les deux peuvent être diamétralement opposés : « Nous sommes profondément convaincus que les connaissances autochtones et traditionnelles servent à établir des liens et à vivre, tandis que la science occidentale sert à conquérir et à contrôler » (Fischer et coll., 2022, p. 292).

9.4.3 Collaboration internationale, partage de connaissances et solidarité

La mondialisation a pour effet positif de faciliter la communication et le partage de stratégies et de solutions entre les peuples autochtones du monde entier (Fischer et coll., 2022). Le partage des connaissances et la solidarité sur la scène internationale permettent de faire le lien entre divers systèmes de savoirs et de remettre en question les tactiques historiques de division inhérentes à la colonisation (Cameron et coll., 2019). Sur la scène internationale, les peuples autochtones ont fait pression pour que leurs connaissances, leurs droits et leur gouvernance soient pris en compte dans les conventions et les initiatives, telles que la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Dans le cadre de la CCNUCC, les peuples autochtones ont obtenu l’inclusion d’un langage fondé sur les droits dans le préambule de l’Accord de Paris. Par ailleurs, on fait référence aux peuples autochtones cinq autres fois, y compris pour reconnaître leurs connaissances (art 7, para. 5). L’ajout de références aux peuples autochtones dans la CCNUCC a été suivi par le Forum international des peuples autochtones sur les changements climatiques et le Centre for International Environmental Law (UNFCCC, 2021), montrant une nette augmentation positive des références aux peuples autochtones et aux savoirs autochtones.

L’un des principaux résultats de ce travail est la plateforme pour les collectivités locales et les peuples autochtones qui, après plusieurs années de négociations, a créé le groupe de travail de facilitation, premier organe constitué dans le cadre de la CCNUCC caractérisé par une représentation égale des peuples autochtones et des États. Le terme « collectivités locales » a suscité de vives inquiétudes parmi les peuples autochtones, car ce terme entraîne une lente érosion des droits accordés aux peuples autochtones dans les documents internationaux, tels que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le Conseil circumpolaire inuit du Canada a publié une prise de position à cet égard, affirmant que « … la pratique consistant à utiliser le terme « collectivités locales » pour désigner les Inuit et les autres peuples autochtones s’inscrit dans une tendance alarmante dans le comportement des États, qui diminuent les normes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et qui prennent des mesures visant à dévaloriser le statut, les droits et le rôle des peuples autochtones » (CCI, 2020). Des positions similaires ont été adoptées par l’Assemblée des Premières Nations et l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones.

Dans le contexte du GIEC, un article paru en 2023 (Carmona et coll., 2023) évalue la manière dont le sixième rapport d’évaluation (AR6) reconnaît le rôle et les systèmes de savoirs des peuples autochtones dans la gouvernance climatique et en fait la promotion. L’article utilise une analyse de contenu des rapports des groupes de travail I, II et III, ainsi que du rapport de synthèse, pour montrer un nombre croissant de références aux peuples autochtones et à leurs systèmes de savoirs par rapport aux rapports d’évaluation précédents. Malgré cette croissance, ils ont également constaté que le GIEC continuait de reproduire une approche réductrice des connaissances et des droits des peuples autochtones; ce qui risque de favoriser des stéréotypes néfastes qui accroissent les inégalités. Alors que le GIEC prépare le septième rapport d’évaluation (AR7), les peuples autochtones se préparent à accroître leur participation afin de garantir de nouveaux progrès. Des progrès ont également été réalisés dans le Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal, adopté en décembre 2022, dans lequel les droits des peuples autochtones ont été explicitement reconnus, notamment en ce qui concerne le nouvel objectif « 30 pour 30 » (qui prévoit qu’au moins 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines seront effectivement conservées et gérées d’ici 2030).

Notes de bas de page

  1. Pour plus d’information, voir la vidéo « Métis National Council Wildfire Workshop » disponible à https://www.youtube.com/watch?v=fe45DiYvgd4
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