Les changements climatiques entraînent de graves perturbations non seulement pour l’environnement et l’économie, mais aussi pour la culture, la langue, le transfert de connaissances, les cérémonies, l’identité, la santé et le bien-être. Ces répercussions sont interdépendantes et recoupent d’autres crises auxquelles sont confrontés les Premières Nations, les Inuit et les Métis.

Les relations profondes que nous entretenons avec nos terres, nos eaux et nos glaces nous amènent à vivre différemment les impacts des changements climatiques. Nombre de nos collectivités ont des moyens de subsistance étroitement liés à la terre, comme la chasse et la cueillette, mais nous dépendons également de la terre pour préserver notre identité et nos pratiques culturelles et transmettre ces connaissances aux générations futures. Ces liens et ces relations varient non seulement entre les collectivités, mais aussi au sein de celles-ci (p. ex., le Nord, le Sud, les zones rurales, les zones urbaines, les genres).

Lorsque la terre, l’eau ou la glace changent, nous changeons. Nous le sentons. Nous sommes confrontés à des impacts physiques et à des dangers, tels que la perte de récoltes ou de ressources en eau, des changements dans les sources de nourriture sauvage et des risques accrus de chute à travers une glace dangereuse. Toutefois, des conséquences émotionnelles et spirituelles existent également, car nous pleurons la perte du lien avec nos terres et nos eaux et la perte de notre capacité à pratiquer nos modes de vie. Les répercussions physiques, mentales, émotionnelles et spirituelles des changements climatiques sont liées.

Lorsque l’on vit avec la terre en relation et en réciprocité, on voit et on expérimente l’interconnexion des choses. On ressent les choses de manière interconnectée. La façon dont nous avons réagi aux changements climatiques comprend des approches interconnectées; cela doit se poursuivre, à mesure que nous trouvons des solutions aux changements actuels et futurs.

6.1

Introduction

« Nuna (la terre, en Inuktut) est tellement au cœur de notre être que nous nous considérons comme faisant partie de Nuna; nous faisons partie de Nuna et Nuna fait partie de nous. Nous savons que lorsque les peuples autochtones sont déconnectés de leur terre et de leurs pratiques culturelles, leur santé mentale, physique, émotionnelle et spirituelle se dégrade. »
— Lori Tagoona [réunion de cadrage des auteurs], février 2020

Les changements climatiques touchent les peuples autochtones et leurs modes de vie depuis des millénaires (Conseil des académies canadiennes, 2019; Watt-Cloutier, 2015; Nickels et coll., 2005). Les peuples autochtones caractérisent souvent la perturbation due aux changements climatiques en termes de capacité à exercer, récupérer et revitaliser nos façons de connaître et d’être (Cameron et coll., 2021), tout en soulignant également les défis déjà existants d’une perturbation complète provoquée par la colonisation (Whyte, 2018). Une grande partie de la recherche actuelle liée aux changements climatiques se concentre sur le domaine biophysique, y compris les répercussions directes sur la santé, par des blessures ou des décès, les conséquences indirectes des changements dans les systèmes environnementaux qui ont un impact sur la qualité et la disponibilité de la nourriture, de l’eau et de la glace, et les changements dans les systèmes humains qui touchent le bien-être social et émotionnel (Naylor, 2022; Marshall et coll., 2020; Worden et coll., 2020; Lynn et coll., 2013; Tam et coll., 2013; Jacob et coll., 2010; Laidler et coll., 2009; Guyot et coll., 2006). On en sait moins sur la manière dont les changements environnementaux complexes et interconnectés touchent également les pratiques culturelles, la santé mentale et le bien-être (voir REN-2; RPR-6; Cunsolo Willox et coll., 2015; Cunsolo Willox et coll., 2012; Furberg et coll., 2011; Berry et coll., 2010). Du point de vue des systèmes de savoirs autochtones, il est important d’examiner la mesure dans laquelle la santé et le bien-être émotionnels, physiques, mentaux et spirituels sont liés et sont touchés par les changements environnementaux et climatiques, ainsi que la manière dont ces impacts sont ressentis en fonction du genre, de l’âge et de la géographie (Williams, 2018). Les peuples autochtones expriment de plus en plus la perte de ce lien, due en grande partie aux changements climatiques et environnementaux, à travers leurs propres expériences, leurs visions du monde, leur sens de l’identité et leurs langues (Lewis et coll., 2021).

Malgré ces impacts des changements climatiques, de nombreux peuples autochtones restent fortement liés à la terre et continuent de vivre selon des modes de vie fondés sur la terre, y compris dans les centres urbains. La terre soutient et maintient l’identité, les systèmes socioculturels et sociospirituels, ainsi que la santé et le bien-être physique, émotionnel, mental et spirituel (Middleton et coll., 2020; Petrasek MacDonald et col., 2015; Ford, 2012; Kral et coll., 2011; K. Wilson, 2003; Adelson, 2000).

Un trio d'oiseaux marins monochromes violets en vol. Conçu par l'auteur, l'artiste et le chercheur en climatologie Gitxsan Hetxw'ms Gyetxw (Brett D. Huson).

6.2

Perturbations interconnectées de l’environnement, de l’économie, de la culture, de la langue, et de la santé, entre autres

Les visions du monde des Autochtones sont la clé de l’adaptation et de la résilience aux changements climatiques. Toutefois, cela signifie également que les peuples autochtones subissent les répercussions des changements climatiques dans le contexte de leur dépendance de longue date et de leurs relations permanentes avec l’environnement naturel, en particulier les eaux dont ils dépendent depuis des millénaires (voir l’étude de cas 3; Arsenault, 2021; N.J. Wilson, 2019; Goldhar et coll., 2014). Par exemple, les Inuit observent et signalent l’évolution des conditions de la glace de mer depuis des décennies (p. ex., ITK, 2019b; Fox Gearheard et coll., 2013; Ford et coll., 2009; Laidler et coll., 2008; Laidler et Ikummaq, 2008; Laidler et Elee, 2008). Cette évolution de l’état des glaces (voir l’encadré 5) perturbe l’environnement, car le changement de la glace de mer est lié à l’évolution du climat, des conditions météorologiques et des conditions océaniques (K. Wilson et coll., 2021; N. Wilson et coll., 2021). Ces changements ont des répercussions sur l’écologie locale en influant sur l’habitat, l’alimentation, la mise bas et la santé de la faune (Menzies et coll., 2022; Reid et coll., 2022). Du fait de l’évolution de l’état des glaces influant sur l’accès, la sécurité, la capacité de déplacement, le succès de la récolte et d’autres interactions, les pratiques culturelles et les traditions centrées sur ces activités et ces relations sont menacées (Simonee et coll., 2021). La connaissance découle de la pratique; il existe un risque de perdre la culture inuite, y compris la connaissance et la langue, si l’utilisation de la glace de mer devient restreinte ou disparaît (Robertson et Ljubicic, 2019).

Un trio de bleuets violets monochromes et du feuillage.

6.3

Liens entre les impacts des changements climatiques, les infrastructures et les crises multiples auxquelles se heurtent les Premières Nations, les Inuit et les Métis

Les impacts des changements climatiques sur les Premières Nations, les Inuit et les Métis ne se limitent pas à la terre, à l’eau et à la glace. Les impacts sur les infrastructures naturelles et bâties, par exemple, constituent une préoccupation majeure dans l’ensemble du pays. La Stratégie nationale inuite sur les changements climatiques a fait des infrastructures l’une de ses cinq grandes priorités, reconnaissant la nécessité de combler les lacunes en matière d’infrastructures dans l’Inuit Nunangat, grâce à de nouvelles constructions résilientes aux changements climatiques, à la modernisation des bâtiments existants, ainsi qu’à l’adaptation, aux évaluations, aux pratiques du bâtiment et aux codes dirigés par les Inuit et intégrant le savoir inuit (ITK, 2019a). De même, la Stratégie nationale sur le climat de l’Assemblée des Premières Nations désigne le comblement des lacunes en matière d’infrastructures naturelles et bâties l’un de ses sept domaines prioritaires.

Les infrastructures s’avèrent de plus en plus vulnérables aux impacts des changements climatiques, notamment aux changements dans les températures et les précipitations, à la dégradation du pergélisol et à l’érosion côtière (voir REN-2; REN-3; ITK, 2019a). Dans l’Arctique, le dégel du pergélisol peut endommager les infrastructures d’approvisionnement en eau potable et de traitement des eaux usées, ce qui peut causer une contamination des eaux souterraines, de l’eau potable et d’autres sources d’eau par les eaux usées (voir RPR-6; GIEC, 2014, p. 726). L’érosion côtière le long des trois littoraux du Canada constitue une autre menace pour les infrastructures, notamment pour les systèmes d’eau potable. Par exemple, en décembre 2010, l’île de Lennox (l’Île-du-Prince-Édouard), où vit la Première Nation Mi’kmaw de Lennox Island, a connu une violente tempête qui a provoqué une onde de tempête de 36 heures, fermant temporairement la route menant à la collectivité (voir l’étude de cas 1.8 du RPR-1; Coldwater Consulting Ltd., 2016, cité dans Lewis et Peters, 2017) et menaçant l’usine de traitement des eaux usées et les lagunes associées (Jardine, 2016, cité dans Lewis et Peters, 2017). La Nation de Tsleil-Waututh, située sur le bras de mer Burrard, en Colombie-Britannique, subit les impacts de l’élévation du niveau de la mer, des inondations côtières et de l’érosion du littoral, ce qui a des répercussions sur ses terres, ses infrastructures, ses écosystèmes et ses sites historiques culturels (voir l’étude de cas 2.5 de REN-2; Kerr Wood Leidal Associates Ltd. (KWL) et Tsleil Waututh Nation, 2021). Cette Nation a également établi un partenariat avec le Coastal Adaptation Lab de l’Université de la Colombie-Britannique dans le cadre du projet Living with Water (Vivre avec l’eau), afin d’étudier la manière dont les connaissances autochtones peuvent contribuer aux mesures d’adaptation côtière (Owen, 2020).

Les préoccupations en matière de santé attribuables aux impacts sur les infrastructures sont graves et variées. Par exemple, les systèmes de drainage des égouts pluviaux ne peuvent souvent pas gérer le volume des eaux de ruissellement, ce qui provoque des refoulements d’égouts qui inondent les sous-sols et conduisent l’introduction de contaminants, tels que des eaux usées brutes, dans les maisons, et notamment des agents pathogènes nocifs pour la santé humaine (voir SCCC-2; Horton et McKenzie, 2009, cité dans Lewis et Peters, 2017). Le ruissellement lors de fortes précipitations peut également entraîner depuis les routes l’écoulement d’hydrocarbures (composants du gaz ou du pétrole), notamment des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques issus du diesel, de l’essence ou du pétrole), et des métaux lourds (tels que le plomb, le cadmium et le mercure), dans les systèmes d’eaux souterraines, ce qui constitue une préoccupation importante à proximité de zones peuplées (Horton et McKenzie, 2009, cités dans Lewis et Peters, 2017). La salmonelle et la campylobactérie sont des pathogènes bactériens d’origine hydrique courants qui sont connus pour être sensibles aux changements climatiques (GIEC, 2014). En fait, les facteurs climatiques tels que les fortes précipitations ont augmenté le risque de maladies d’origine hydrique causées par des agents pathogènes (ITK et CCI, 2021; Harper et coll., 2020; ITK 2020b; Thomas, et coll., 2007). Les changements climatiques entraînent de graves répercussions sur les ressources en eau et la sécurité, en raison de la modification des schémas de précipitations, de l’augmentation de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes et de la fonte du pergélisol, qui entraînent des changements dans la durée et le volume des écoulements fluviaux, ce qui a également une incidence sur la qualité de l’eau (voir RPR-6). La résolution de ces problèmes nécessite l’élaboration d’une série de mesures, notamment la mise en place de systèmes de gestion et de gouvernance de l’eau plus efficaces, des investissements dans les infrastructures d’approvisionnement en eau potable et de traitement des eaux usées ainsi qu’une collaboration accrue entre les collectivités collectivité du Nord, les administrations publiques et les populations autochtones du Nord (voir RPR-6).

Les infrastructures d’eau potable illustrent les défis multiples et interdépendants auxquels se heurtent les Premières Nations, les Inuit et les Métis, et qui sont amplifiés par les changements climatiques (ITK et CCI, 2021; ITK, 2020b; Castleden et Skinner, 2014). Les réseaux d’eau potable des Premières Nations se trouvent souvent en mauvais état, ce qui accroît le risque de défaillance face aux changements climatiques. Une évaluation nationale des systèmes d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées des Premières Nations, réalisée en 2011, a révélé que sur les 807 systèmes d’approvisionnement en eau desservant 560 Premières Nations, 314 (39 %) présentaient un risque global élevé, 278 (34 %), un risque global moyen, et seulement 215 (27 %), un risque global faible (Affaires autochtones et du Nord Canada, 2011, p. ii). En 2014, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a signalé que la situation de l’eau potable dans les collectivités de Premières Nations et des Inuit était préoccupante : « plus de la moitié des systèmes d’approvisionnement en eau présentant un risque moyen ou élevé pour la santé de leurs utilisateurs » (Anaya, 2009, p. 8). En 2015, le gouvernement du Canada s’est engagé à mettre fin, dans un délai de cinq ans, à tous les avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable dans les collectivités des Premières Nations. En 2018, 40 avis ont été levés, mais 26 nouveaux avis et 36 avis à court terme ont été ajoutés (Fondation David Suzuki, 2018). Les Mohawks de la baie de Quinte, près de Kingston (Ontario), par exemple, font l’objet d’avis sur l’eau potable depuis plus de dix ans en raison d’une contamination fécale, bactérienne et par des algues (Alhmidi, 2021). Cette collectivité compte environ 2 250 résidents, auxquels s’ajoutent 8 000 membres inscrits vivant hors réserve (Affaires autochtones et du Nord Canada, 2019). La Première Nation de Neskantaga, dans le nord de l’Ontario, fait également l’objet d’un avis d’ébullition de l’eau depuis 1995. Il s’agit du plus long de toutes les Premières Nations du Canada. En 2020, cette Première Nation a évacué des membres dans des hôtels de Thunder Bay, malgré la construction d’une nouvelle usine de traitement des eaux deux ans auparavant (Stefanovich, 2020).

Les répercussions sur la santé physique ne représentent qu’un aspect des multiples perturbations causées par les changements climatiques. On constate également des répercussions importantes sur la santé mentale, émotionnelle et spirituelle (voir l’étude de cas 4; REN-3; RPR-6; SCCC-4). Les personnes qui vivent dans des conditions telles qu’elles ne peuvent pas fournir à leur famille un accès à de l’eau saine, à de la nourriture et à un abri ou à un environnement sûr sont susceptibles de subir un stress et un traumatisme immenses. La crise du logement dans les réserves à laquelle se heurtent les Premières Nations en est un bon exemple. Les estimations produites par le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations, à partir des données de l’enquête réalisée par l’Assemblée des Premières Nations sur les besoins en logements et en infrastructures connexes dans les réserves, signalent un déficit d’environ 85 700 logement pour répondre à la demande actuelle. En outre, 34 % des logements existants nécessitent des réparations mineures et 31 % des réparations majeures (Assemblée des Premières Nations, 2018). La situation des Inuit est similaire : plus de la moitié (51,7 %) des Inuit de l’Inuit Nunangat vivent dans des logements surpeuplés, contre 8,5 % de la population canadienne non autochtone (Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, 2019). Pour les Premières Nations, le sous-financement gouvernemental, une croissance démographique rapide, des politiques restrictives et d’autres facteurs ont conduit à divers enjeux sanitaires et sociaux. Il s’agit notamment de maladies respiratoires, de problèmes de santé mentale et d’un risque accru de violence (Stout, 2018). Les peuples autochtones souffrent de manière disproportionnée de ces conditions, lesquelles sont exacerbées par les changements climatiques. Le présent rapport met l’accent sur les inégalités et les injustices historiques et persistantes résultant du colonialisme ainsi que des politiques, de la gouvernance et des lois climatiques imposées, lesquelles aggravent encore davantage les répercussions des changements climatiques sur les peuples autochtones (Mercer, 2022; Arsenault, 2018; Collins et coll., 2017).

Suivante

Les systèmes de savoirs autochtones et leurs expériences vécues constituent des éléments essentiels pour lutter contre les changements climatiques