Les peuples autochtones ont souvent été présentés comme des victimes passives ou des signes avant-coureurs des impacts des changements climatiques dans les dialogues nationaux et internationaux (Indigenous Climate Action, 2021a; Belfer et coll., 2017; Bunce et coll., 2016; Cameron, 2012). Cependant, cette image néglige souvent la façon dont les Autochtones observent, s’y adaptent et vivent réciproquement nos terres, nos eaux et notre glace, depuis des millénaires (McGregor et coll., 2020; McGregor, 2019). Les liens culturels, spirituels et sociaux de nos peuples avec la terre, l’eau et la glace peuvent accroître notre exposition et notre sensibilité aux répercussions des changements climatiques, mais ils constituent également des sources uniques de force, de connaissance, de compréhension et de résilience (Deranger et coll., 2022; Hernandez et coll., 2022; Reed et coll., 2022; Galway et coll., 2021).
L’approche du Canada visant à inclure les peuples autochtones dans les discussions sur les changements climatiques a évolué au cours des sept dernières années, en grande partie grâce aux relations constructives établies avec les organisations des Premières Nations, des Inuit et des Métis dans le cadre de tables bilatérales de haut niveau créées dans le sillage du Cadre pancanadien, ainsi que par la défense des intérêts autochtones (p. ex., déclarations d’urgence, programme des gardiens autochtones, aires protégées et de conservation autochtones) (Reed et coll., 2022; Gobby et coll., 2021). Cette évolution a conduit à des engagements progressifs en faveur d’un programme de leadership climatique autochtone. Ce programme a pour objet « … d’investir dans le libre arbitre des peuples et des collectivités autochtones, d’appuyer les solutions dirigées et mises en œuvre par les Autochtones, de les doter de ressources équitables et de leur assurer un accès approprié à du financement pour mettre en œuvre des mesures de lutte contre les changements climatiques qu’ils ont eux-mêmes déterminées. » (Gouvernement du Canada, 2020b, p. 77).
5.4.1 Déclarations d’urgence climatique autochtones et « All My Relations » [toutes mes relations]
Les Premières Nations, les Inuit et les Métis mènent un large éventail d’activités de lutte contre les changements climatiques et y participent activement. Ces activités comprennent l’éducation, l’apprentissage et la guérison par la terre (p. ex., Ljubicic et coll., 2021; McClain, 2021; Morales et coll., 2021; Ward et coll., 2021; Donatuto et coll., 2020; Métisse Redvers, 2020; Mearns, 2017), le développement de l’énergie propre autochtone (p. ex., L’Hommecourt et coll., 2022; Paquet et coll., 2021; Indigenous Clean Energy, 2020), le développement des connaissances autochtones et de stratégies scientifiques (p. ex., Huntington et coll., 2021a; Sawatzky et coll., 2021; Assemblée des Premières Nations, 2020; Ferguson et Weaselboy, 2020; ITK 2019a, 2018; Jones et coll., 2018;), la coproduction de connaissances (p. ex., Fox et coll., 2020), la planification et la mise en œuvre de mesures d’adaptation (p. ex., Galway et coll., 2022), ainsi que l’action politique et la diplomatie, y compris la diplomatie fondée sur les traités (p. ex., Callison, 2021, 2014; Kronk Warner et Abate, 2013; Grossman, 2008). Un nombre croissant de peuples autochtones ont également publié des déclarations d’urgence climatique, appelant à une décarbonisation rapide pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Par exemple, la déclaration de la Première Nation Vuntut Gwitch’in à Old Crow (Yukon), intitulée Yeendoo Diinehdoo Ji’heezrit Nits’oo Ts’o’ Nan He’ aa (Après notre temps, comment sera le monde?), a jeté les bases pour que les chefs des Premières Nations à travers le Canada déclarent une urgence climatique nationale en 2019.
Avec l’appui des dirigeants de la Première Nation des Vuntut Gwitch’in, l’Assemblée des Premières Nations a déclaré une urgence climatique des Premières Nations lors de l’Assemblée des Premières Nations de 2019, affirmant que « … les changements climatiques constituent un état d’urgence pour nos terres, nos eaux, nos animaux et nos peuples ». L’inclusion du au-delà de l’humain dans cette déclaration est emblématique de l’approche relationnelle que les peuples autochtones ont développée au cours des millénaires, également connue sous le nom d’éthique de la « pensée fondée sur la responsabilité » (Sioui et McLeman, 2014), largement représentée par le concept « toutes mes relations » (ou « relations durables » selon Ferguson et Weaselboy, 2020). Ce concept éclaire la manière dont les peuples autochtones vivent et comprennent les répercussions des changements climatiques et les approches d’adaptation. Galway et coll. (2022), en collaboration avec les détenteurs du savoir de la Première Nation de Fort William, décrivent cinq sous-thèmes de leurs expériences des changements climatiques, organisés selon le concept « toutes mes relations » : 1) le manque d’attention et de respect pour la Terre nourricière en tant que cause première; 2) la (re)connexion avec la terre et la culture; 3) les observations et l’expérience des changements sur la terre; 4) une terre saine, des personnes saines; et 5) les jeunes et les générations futures (voir l’étude de cas 2). Le concept « toutes mes relations » (voir la figure 4) reconnaît également que les peuples autochtones bénéficient des forces de tous leurs membres, y compris des contributions vitales et uniques de nos femmes, hommes, jeunes, Aînés et personnes 2ELGBTQQIA+ (voir l’encadré 4; Longman et coll., 2020; Viscogliosi et coll., 2020; Women’s Earth Alliance et Native Youth Sexual Health Network, 2016).
5.4.2 Droits et responsabilités des Autochtones
La reconnaissance du statut, des rôles et des droits distincts des peuples autochtones, affirmés dans d’importants instruments nationaux et internationaux relatifs aux droits de la personne, notamment l’article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada, est au cœur des approches fondées sur les forces. D’autres instruments, tels que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2007) et son adoption ultérieure dans les administrations provinciales (Colombie-Britannique en 2019) et fédérales (Canada en 2021), affirment le droit à l’autodétermination des peuples autochtones (article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme). Le concept de droits prend également en compte les responsabilités qui incombent aux peuples autochtones lorsqu’ils interagissent avec le monde au-delà de l’humain. Ces responsabilités, soulignées par les valeurs humaines qui les sous-tendent, sont l’une des nombreuses contributions que les peuples autochtones apportent au reste de l’humanité (GIEC, 2022; Cameron et coll., 2021; Townsend et coll., 2021; Salmón, 2000). Une telle perspective découle de la compréhension du fait que les êtres humains doivent apprendre à vivre avec la terre, l’eau et la glace (McGregor, 2014; McGregor et coll., 2010; Cajete, 1999).
Ces droits (et ceux affirmés dans les traités, les revendications territoriales, les accords et autres dispositions constructives [voir l’encadré 1]) ont permis aux peuples autochtones de jouer le rôle de chef de file qui leur revient en matière de gouvernance environnementale, faisant ainsi progresser les ententes de cogestion et autres activités d’intendance (Cadman et coll., 2022; Qikiqtani Inuit Association, 2021; Peacock et coll., 2020; Snook et coll., 2018a; Armitage et coll., 2011). Par conséquent, de nombreux territoires autochtones conservent des niveaux élevés de biodiversité et des écosystèmes intacts, essentiels et d’importance mondiale (Schuster et coll., 2019). Les aires protégées et de conservation autochtones (APCA) (voir l’étude de cas 5.4 dans le REN-5) et les zones de protection marines autochtones (Imappivut Nunatsiavut Marine Plan, 2022) sont des exemples illustrant que les peuples autochtones assument de plus en plus des positions de chef de file en matière de gouvernance et d’action climatique, en tant que gardiens des territoires traditionnels depuis des temps immémoriaux (McDonald, 2023; Reed et coll., 2021b). Les paradigmes de « résurgence » autochtone (selon lesquels les peuples autochtones se réapproprient nos langues, nos cérémonies, nos enseignements, notre gouvernance et notre prise de décisions [Corntassel et Bryce, 2012]) s’appuient sur les forces de la culture et des connaissances traditionnelles fondées sur la terre en ce qui concerne le leadership autochtone en matière de gouvernance et de gestion des terres (Alfred et coll., 2015; Coulthard, 2014; Corntassel et Bryce, 2012; Simpson, 2011; Alfred, 2009; Alfred et Corntassel, 2005). Le leadership autochtone en matière de politique sur les changements climatiques peut donc garantir que le droit autochtone à l’autodétermination est respecté et maintenu, permettant aux peuples autochtones de continuer à assumer leurs responsabilités culturelles envers la terre au profit de toute l’humanité (voir la section 9.0; Powless, 2012).