Figure 1
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Figure 2
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Figure 3
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Figure 4
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Les Premières Nations, les Inuit et les Métis ont réagi aux impacts des changements environnementaux et climatiques auparavant, y réagissent activement aujourd’hui et continueront de le faire à l’avenir. Nos collectivités disposent d’atouts uniques pour faire face à la crise climatique, même si elles sont confrontées à des répercussions disproportionnées des changements climatiques et à des défis liés à l’héritage persistant de la colonisation.

Nous avons toujours fait face aux changements, y compris aux conséquences des changements environnementaux et climatiques, et nous nous y sommes adaptés. Aujourd’hui, nous continuons d’intervenir et exerçons de plus en plus notre leadership dans la recherche, les politiques et les solutions en matière de changements climatiques. Nous reconnaissons la nécessité d’abandonner les approches fondées sur les déficits, qui considèrent nos collectivités sous l’angle de la vulnérabilité et du risque, au profit d’approches fondées sur les points forts, qui reconnaissent nos connaissances, nos compétences, nos actions et nos aptitudes. Notre réponse aux changements climatiques est continue. Alors qu’une grande partie des travaux passés ont été menés par d’autres, nous voyons aujourd’hui des femmes, des jeunes, des scientifiques, des chercheurs, des activistes, des dirigeants, des Aînés et des défenseurs autochtones jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre les changements climatiques, en s’appuyant sur leurs connaissances, leurs lois, leur langue et leur culture. Toutefois, nos efforts en matière d’action climatique ne peuvent être dissociés des efforts que nous déployons actuellement pour faire face à l’héritage de la colonisation.

5.1

Introduction

« Au cours de l’histoire, nous n’avons pas eu la vie facile. Considérant les pressions coloniales exercées par le gouvernement et les entreprises minières, les préjudices causés par le régime des pensionnats, notre éloignement forcé de nos collectivités et terres traditionnelles, ainsi que les nombreuses autres influences qui existent dans nos vies aujourd’hui, nous avons un combat difficile à mener. Mais nos Aînés se sont battus et sont morts pour notre terre, et nous avons le devoir de continuer à la protéger. Lorsque nous nous unissons, notre peuple et notre collectivité font preuve de force et de résilience. Nous disposons de la sagesse. Nous sommes les premiers gardiens de la terre. »
Extrait du Ross River Dena Council et de l’Arctic Institute of Community-based Research, 2019, p. 8.

Les impacts de la crise climatique sont inextricablement liés aux processus actuels de colonialisme, de dépossession et de violation des droits, mais ces liens sont souvent négligés dans les analyses liées aux changements climatiques, telles que la recherche, la politique et la gouvernance. Sans cette optique, la compréhension de la profondeur, de la portée et des répercussions de la crise environnementale et climatique sur les populations autochtones est incomplète (Deranger et coll., 2022; Cameron, 2012). Au cours des cinq dernières décennies, de nombreuses commissions et enquêtes publiques ont documenté les conséquences de la colonisation pour les peuples autochtones (p. ex., Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, 2019; Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015; Qikiqtani Truth Commission, 2013; Commission royale sur les peuples autochtones, 1996; Berger, 1977). Dans plusieurs de ces rapports, les répercussions ont été décrits comme génocidaires (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015; Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, 2019) et sont indissociables des réalités vécues par les peuples autochtones et des impacts des changements climatiques auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Les lois, politiques et pratiques coloniales historiques et actuelles ont entraîné d’importants changements sociaux, spirituels, culturels, politiques, économiques et environnementaux.

Face à cette réalité, les peuples autochtones, y compris les Aînés et les gardiens du savoir, ont appelé à une réévaluation du cadre des changements climatiques pour se concentrer sur la mesure dans laquelle les valeurs humaines sont à l’origine de la crise climatique : un monde en déséquilibre (Cameron et coll., 2021). Ces valeurs (p. ex., cupidité, consumérisme) ont conduit à un ensemble de comportements et d’activités humaines destructives qui ne respectent pas la loi naturelle et sont à l’origine de la crise climatique (pour plus de détails, voir la figure 1 de Cameron et coll., 2021). Il en résulte un système de connaissances qui privilégie les progrès de la technologie, des marchés et de la science au détriment de l’équilibre naturel de la vie. Katherine Whitecloud, gardienne du savoir du Dakota, décrit cette crise environnementale comme une crise humaine : « Les gens ne veulent pas reconnaître l’état de la Terre, sa situation actuelle, parce que c’est un reflet d’eux-mêmes. C’est le reflet de leur maison, de leur espace personnel, où résident l’esprit et le cœur… Et les gens ne veulent pas regarder cela » (Cameron et coll., 2021, p. 43).

Pour remédier à ce déséquilibre, il faut réorienter le programme d’action climatique vers des approches significatives fondées sur la compréhension de la terre, de l’eau et de la glace et sur la relation avec ces éléments. Jusqu’à récemment, l’influence de ces perspectives sur les réponses locales, régionales, nationales et internationales aux changements climatiques se limitait à la participation des peuples autochtones aux initiatives climatiques non autochtones. Toutefois, cette situation est en train de changer, car les peuples autochtones élaborent de plus en plus leurs propres stratégies de lutte contre les changements climatiques, en s’appuyant sur leurs systèmes de savoirs, leurs lois, leur gouvernance et leur histoire. Le présent rapport s’appuie sur ces expériences pour passer d’un cadre déficitaire à un récit dirigé par les Autochtones et axé sur des approches fondées sur les forces. Cette évolution est résumée dans un rapport publié en 2019 par le Conseil des académies canadiennes : « Les peuples autochtones ont fait preuve d’une capacité d’adaptation, de résilience et de survie face à des changements sociaux, culturels et environnementaux omniprésents tout au long de l’histoire coloniale. Les impacts multiplicatifs des changements climatiques, combinés aux répercussions du colonialisme, aux différences de pouvoir dans la société canadienne, à la marginalisation et à la perte de la terre, peuvent toutefois influer sur la réussite de cette adaptation » (Conseil des académies canadiennes, 2019, p. xi).

Un trio de bleuets violets monochromes et du feuillage.

5.2

Impacts croisés : le colonialisme et les changements climatiques sur les peuples autochtones

Des termes relativement nouveaux, tels que « deuil écologique » et « solastalgie », décrivent la perte, le deuil et le désespoir causés par des changements environnementaux non désirés, tels que les changements climatiques (p. ex., Cunsolo Willox et Ellis, 2018; Cunsolo Willox, 2012). Cependant, ces concepts et ces expériences ne sont pas nouveaux; ils résument les défis, les souffrances et les traumatismes profonds que les peuples autochtones ont endurés en raison des pertes et des dommages environnementaux depuis le début de la colonisation (Whyte, 2016). Il s’agit notamment de la dépossession des terres des Premières Nations dans le cadre du système des réserves indiennes. D’autres exemples incluent l’imposition de politiques fédérales et internationales aux Inuit, telles que les réinstallations dans l’Extrême-Arctique dans les années 1950 et le mouvement international empêchant la vente de peaux de phoque (Gombay, 2014; Tester et Kulchyski, 1994; Wenzel, 1991), ainsi que l’attribution de certificats de terre aux familles métisses. À la fin des années 1870, le gouvernement canadien a délivré aux Métis vivant dans l’Ouest des documents (certificats de terre) difficilement accessibles qui leur donnaient droit à des terres souvent situées à des centaines de kilomètres de leur domicile et de leurs collectivités.

Sans être exhaustive, cette combinaison de lois, de politiques et d’actions a un impact supplémentaire sur la capacité d’adaptation des peuples autochtones, en limitant nos pratiques de gouvernance, culturelles et linguistiques, et en restreignant nos déplacements; ce qui influe sur les pratiques de chasse, de pêche et de cueillette (Menzies et coll., 2022). Les changements climatiques qui se produisent actuellement représentent des menaces culturelles similaires à celles rencontrées au début de la colonisation européenne dans les Amériques (Whyte, 2017a; 2016). Par conséquent, pour les peuples autochtones, qui subissent souvent de manière disproportionnée les répercussions des changements climatiques, ces changements ne sont pas nouveaux, mais plutôt perçus comme du « déjà-vu » (Whyte, 2016).

5.3

Les peuples autochtones réagissent activement aux changements environnementaux

Jusqu’à récemment, l’approche la plus courante pour faire face aux conséquences des changements climatiques sur la vie des Autochtones consistait à faire participer ces derniers à l’élaboration de réponses locales, régionales, nationales et internationales (p. ex., accords, plans, programmes de recherche, politiques et stratégies).

Cependant, plus récemment, les peuples autochtones ont affirmé leurs propres stratégies en matière de changements climatiques et ont élaboré des approches visant à faire face aux changements climatiques en fonction de leurs propres systèmes de savoirs, structures de gouvernance et histoires. Par exemple, la Stratégie nationale inuite sur les changements climatiques (ITK, 2019a) illustre la manière dont les Inuit abordent les questions liées aux changements climatiques selon leurs propres conditions, de l’échelle locale à l’échelle mondiale, et créent des initiatives d’adaptation efficaces. Ces initiatives consistent notamment à soutenir les économies de récolte et de partage adaptées aux besoins et aux priorités de leurs collectivités (ITK, 2019a). Un autre exemple est la stratégie et le plan d’action sur les changements climatiques des Premières Nations en Colombie-Britannique [British Columbia First Nations Climate Strategy and Action Plan] (Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, 2022) élaborés et lancés en 2021 par l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique et le Sommet des Premières Nations. Sur la scène nationale, le lancement du contenu des connaissances autochtones dans l’Atlas climatique du Canada (voir l’étude de cas 1 et la figure 3) témoigne d’une approche active à double perspective. Cette approche rend hommage à la sagesse des Aînés, des gardiens du savoir, des chefs de collectivités et d’autres experts de partout au pays, au moyen de vidéos, d’articles et de cartes climatiques à l’échelle locale, régionale et nationale. Au cours des dernières étapes de ce rapport, l’Assemblée des Premières Nations a publié sa stratégie nationale sur le climat, relevant sept domaines prioritaires assortis de plus de 100 stratégies et mesures (voir la figure 1; Assemblée des Premières Nations, 2023).

Figure 1

Les sept domaines prioritaires définis dans la Stratégie nationale sur le climat de l’Assemblée des Premières Nations (2023)

Un graphique coloré en forme de fleur avec 6 pétales, chacune englobant un message sur les systèmes de connaissances, la santé, les langues, les cultures et les spiritualités des Premières Nations. Ces messages sont : Compétence et droit inhérent à l’autodétermination des Premières Nations; Palier le manque de ressources pour soutenir la gouvernance des Premières Nations et leur rôle de chefs de file dans le domaine du climat; l’autosuffisance des Premières Nations dans les domaines de l’alimentation, de l’eau et de l’énergie; Combler le manque d’infrastructures naturelles et bâties; les Premières Nations sont équipées pour l’atténuation, la prévention, l’intervention et le rétablissement dans toutes les situations d’urgence; s’appuyer sur la Lunette climatique des Premières Nations concernant le climat pour réformer la législation, la réglementation, les politiques et les programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux.
Source

Modifié à partir de l’Assemblée des Premières Nations, 2023

D’autres exemples d’initiatives menées par des Premières Nations, des Inuit et des Métis en réponse aux impacts des changements climatiques se concentrent souvent sur la participation à des activités terrestres. Ces activités visent à décoloniser les approches relatives aux changements climatiques et à donner la priorité à nos propres traditions et systèmes de savoirs. Il s’agit notamment de faire participer les jeunes à des camps multigénérationnels axés sur la culture et les terres pour se reconnecter à la terre (p. ex., McDonald, 2023; Lines et coll., 2019) et de prendre des mesures pour limiter les impacts des changements climatiques par des actions de défense de terres (p. ex., Pasternak, 2020). La résistance des Autochtones à des projets à forte intensité carbonique ou non respectueux de l’environnement sur leurs terres est un exemple de ces initiatives. La recherche communautaire et les initiatives orientées vers l’action continuent de se développer et de mettre en évidence les forces et les avantages du savoir et du leadership autochtones. Les chasseurs inuits, par exemple, mènent des recherches dans les collectivités du Nunavut en documentant et en surveillant les changements environnementaux, améliorant ainsi les connaissances et la sécurité. Le programme Smart Ice (voir la figure 2) et l’Ittaq Heritage and Research Centre en sont des exemples notables. Les Premières Nations, comme les Anichinabés, ont utilisé la mobilité saisonnière (Whyte et coll., 2019), et les Premières Nations côtières ont utilisé des jardins de palourdes pour maintenir la biodiversité (Holmes et coll., 2022), ainsi que de nombreuses autres stratégies pour se concentrer sur des approches de lutte contre les changements climatiques relevant de nos traditions et pratiques.

Figure 2

Carte illustrant la technologie et les services SmartICE, utilisés dans 34 collectivités de l’Inuit Nunangat

Carte stylisée du nord du Canada qui comprend Terre-Neuve-et-Labrador à l’extrême est, le Groenland à l’extrême nord et l’océan Arctique à la frontière canado-américaine à l’extrême ouest. Les noms des provinces, des territoires, des baies et des océans sont en langue anglaise, inuktitut et inuktitut syllabique. Un logo inukshuk orange identifie plusieurs projets de SmartICE et leur statut dans les communautés suivantes : Grise Fiord Aujuittuq, Resolute Qausuittuq, Arctic Bay Ikpiarjuk, Pond Inlet Mittimatalik, Sachs Harbour Ikaahuk, Ulukhaktok Ulukhaqtuuq, Cambridge Bay Iqaluktuuttiaq, Gjoa Haven Uqsuqtuuq, Taloyoak Talurjuaq, Igloolik Iglulik, Hall Beach Sanirajak, Qikiqtarjuaq, Pangnirtung Panniqtuuq, Tuktoyaktuk Tuktuuyaqtuuq, Paulatuk Paulatuuq, Kugluktuk Qurluqtuq, Naujaat, Chesterfield Inlet Igluligaarjuk, Coral Harbour Salliq, Kinngait, Iqaluit, Burwash Landing/Destruction Bay Tapasuktuq / Tasiujaq, Gamètì Gamiiti, Whatì Vuati, Behchokǫ̀ Pittuk, Wekweètì Viikviit, Thaidene Nëné Taitaniniin, Arviat, Sanikiluaq, Nain Nunainguk, Natuashish, Hopedale Agvituk, Makkovik MaKovik, Postville KipukKak et Rigolet Kikiak.
Source

SmartICE, 2024

Les organismes locaux, régionaux, nationaux et internationaux, les gouvernements et la société civile commencent à reconnaître que des approches telles que l’Atlas climatique autochtone sont essentielles pour faire face aux conséquences de la crise climatique. Par exemple, le sixième rapport d’évaluation sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité « Sixth Assessment Report on Impacts, Adaptation and Vulnerability » du GIEC (2022) et le rapport canadien Science du climat 2050 (Gouvernement du Canada, 2020a) reconnaissent précisément l’importance de la participation des peuples autochtones aux dialogues sur les changements climatiques, à la prise de décisions et à la recherche (voir l’encadré 3). Malgré cette reconnaissance, le soutien à la recherche, à la planification et aux politiques climatiques autodéterminées et menées par des Autochtones au Canada continue souvent de faire défaut (Déranger et coll., 2022; Latulippe et Klenk, 2020; Huntington et coll., 2019). L’élaboration louable d’un programme de leadership climatique autochtone, financé par le budget 2022 du gouvernement du Canada, en partenariat avec les Premières Nations, les Inuit et les Métis, a commencé pendant la rédaction du présent rapport; les résultats ne sont pas encore finalisés.

En l’absence d’un soutien financier et technique solide pour accéder aux politiques et aux décisions relatives aux changements climatiques, les façonner et les orienter (Chisholm Hatfield et coll., 2018), les peuples autochtones sont souvent contraints de défendre leurs terres, leurs eaux et leurs collectivités par des batailles judiciaires ou des actions directes (Gobby et coll., 2021). Par exemple, un rapport de l’Indigenous Environment Network et d’Oil Change International (2021) signale que la résistance autochtone a permis d’arrêter ou de retarder des émissions de gaz à effet de serre (GES) équivalant à au moins un quart des émissions annuelles produites aux États-Unis et au Canada. Parmi les autres exemples d’actions directes, citons les Wet’suwet’en Land Defenders, 1492 Land Back Lane à Calédonie (Ontario) et les Nuluujaat Land Guardians au Nunavut. Ces mouvements ne se concentrent pas seulement sur le retour de la terre sous l’autorité et la compétence autochtone, mais incarnent également le concept suivant : « que la terre soit en vie afin qu’elle puisse se perpétuer, et nous perpétuer en tant que prolongement d’elle-même; c’est ce que nous voulons retrouver : notre place dans le maintien de la vie de la terre et de son lien spirituel » (Longman et coll., 2020). Ce concept est repris dans le cadre du mouvement de restitution des terres (« Land Back »), un concept de plus en plus important (Reed et Gobby, 2021; Longman et coll., 2020; Pasternak et coll., 2019).

Les Premières Nations, les Inuit et les Métis ont exprimé leur inquiétude quant à la formulation des réponses aux changements climatiques qui se concentrent exclusivement sur une seule question : comment les êtres humains peuvent-ils réduire leurs émissions de gaz à effet de serre dans les décennies à venir? (Chakrabarty, 2019). Au lieu de cela, les peuples autochtones ont appelé à un programme climatique reconnaissant que des approches significatives découlent de la compréhension et de la prise en compte de la question fondamentale de la terre de manière holistique (Behn et Baker, 2019). Deranger et coll. (2022) concrétisent cet appel en déclarant : « … considérer l’inclusion réelle des peuples autochtones et le respect de nos droits non seulement comme une question de justice et d’équité (bien que cela soit évidemment crucial), mais également comme une question de conception de solutions permettant réellement de lutter contre la crise climatique » (p. 19).

La séparation artificielle entre l’être humain et la nature a contribué au paradigme du « progrès », et la poursuite de la croissance économique a entraîné l’échec des trente dernières années de politique climatique (Stoddard et coll., 2021). Pour comprendre les réponses contemporaines des Autochtones à la crise climatique, il est essentiel de comprendre cette différence de vision du monde (Godwell et Nooh, 2022; Swiderska, 2021).

Kayak et pagaie bleus vus d'un œil de phoque. Des ondulations gris clair s'étendent de la poupe et de la proue. Conçue par l'auteur, l'artiste et le chercheur en climatologie Gitxsan Hetxw'ms Gyetxw (Brett D. Huson).

5.4

Les peuples autochtones réagissent à la crise climatique en adoptant des approches fondées sur leurs forces

Les peuples autochtones ont souvent été présentés comme des victimes passives ou des signes avant-coureurs des impacts des changements climatiques dans les dialogues nationaux et internationaux (Indigenous Climate Action, 2021a; Belfer et coll., 2017; Bunce et coll., 2016; Cameron, 2012). Cependant, cette image néglige souvent la façon dont les Autochtones observent, s’y adaptent et vivent réciproquement nos terres, nos eaux et notre glace, depuis des millénaires (McGregor et coll., 2020; McGregor, 2019). Les liens culturels, spirituels et sociaux de nos peuples avec la terre, l’eau et la glace peuvent accroître notre exposition et notre sensibilité aux répercussions des changements climatiques, mais ils constituent également des sources uniques de force, de connaissance, de compréhension et de résilience (Deranger et coll., 2022; Hernandez et coll., 2022; Reed et coll., 2022; Galway et coll., 2021).

L’approche du Canada visant à inclure les peuples autochtones dans les discussions sur les changements climatiques a évolué au cours des sept dernières années, en grande partie grâce aux relations constructives établies avec les organisations des Premières Nations, des Inuit et des Métis dans le cadre de tables bilatérales de haut niveau créées dans le sillage du Cadre pancanadien, ainsi que par la défense des intérêts autochtones (p. ex., déclarations d’urgence, programme des gardiens autochtones, aires protégées et de conservation autochtones) (Reed et coll., 2022; Gobby et coll., 2021). Cette évolution a conduit à des engagements progressifs en faveur d’un programme de leadership climatique autochtone. Ce programme a pour objet « … d’investir dans le libre arbitre des peuples et des collectivités autochtones, d’appuyer les solutions dirigées et mises en œuvre par les Autochtones, de les doter de ressources équitables et de leur assurer un accès approprié à du financement pour mettre en œuvre des mesures de lutte contre les changements climatiques qu’ils ont eux-mêmes déterminées. » (Gouvernement du Canada, 2020b, p. 77).

5.4.1 Déclarations d’urgence climatique autochtones et « All My Relations » [toutes mes relations]

Les Premières Nations, les Inuit et les Métis mènent un large éventail d’activités de lutte contre les changements climatiques et y participent activement. Ces activités comprennent l’éducation, l’apprentissage et la guérison par la terre (p. ex., Ljubicic et coll., 2021; McClain, 2021; Morales et coll., 2021; Ward et coll., 2021; Donatuto et coll., 2020; Métisse Redvers, 2020; Mearns, 2017), le développement de l’énergie propre autochtone (p. ex., L’Hommecourt et coll., 2022; Paquet et coll., 2021; Indigenous Clean Energy, 2020), le développement des connaissances autochtones et de stratégies scientifiques (p. ex., Huntington et coll., 2021a; Sawatzky et coll., 2021; Assemblée des Premières Nations, 2020; Ferguson et Weaselboy, 2020; ITK 2019a, 2018; Jones et coll., 2018;), la coproduction de connaissances (p. ex., Fox et coll., 2020), la planification et la mise en œuvre de mesures d’adaptation (p. ex., Galway et coll., 2022), ainsi que l’action politique et la diplomatie, y compris la diplomatie fondée sur les traités (p. ex., Callison, 2021, 2014; Kronk Warner et Abate, 2013; Grossman, 2008). Un nombre croissant de peuples autochtones ont également publié des déclarations d’urgence climatique, appelant à une décarbonisation rapide pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Par exemple, la déclaration de la Première Nation Vuntut Gwitch’in à Old Crow (Yukon), intitulée Yeendoo Diinehdoo Ji’heezrit Nits’oo Ts’o’ Nan He’ aa (Après notre temps, comment sera le monde?), a jeté les bases pour que les chefs des Premières Nations à travers le Canada déclarent une urgence climatique nationale en 2019.

Avec l’appui des dirigeants de la Première Nation des Vuntut Gwitch’in, l’Assemblée des Premières Nations a déclaré une urgence climatique des Premières Nations lors de l’Assemblée des Premières Nations de 2019, affirmant que « … les changements climatiques constituent un état d’urgence pour nos terres, nos eaux, nos animaux et nos peuples ». L’inclusion du au-delà de l’humain dans cette déclaration est emblématique de l’approche relationnelle que les peuples autochtones ont développée au cours des millénaires, également connue sous le nom d’éthique de la « pensée fondée sur la responsabilité » (Sioui et McLeman, 2014), largement représentée par le concept « toutes mes relations » (ou « relations durables » selon Ferguson et Weaselboy, 2020). Ce concept éclaire la manière dont les peuples autochtones vivent et comprennent les répercussions des changements climatiques et les approches d’adaptation. Galway et coll. (2022), en collaboration avec les détenteurs du savoir de la Première Nation de Fort William, décrivent cinq sous-thèmes de leurs expériences des changements climatiques, organisés selon le concept « toutes mes relations » : 1) le manque d’attention et de respect pour la Terre nourricière en tant que cause première; 2) la (re)connexion avec la terre et la culture; 3) les observations et l’expérience des changements sur la terre; 4) une terre saine, des personnes saines; et 5) les jeunes et les générations futures (voir l’étude de cas 2). Le concept « toutes mes relations » (voir la figure 4) reconnaît également que les peuples autochtones bénéficient des forces de tous leurs membres, y compris des contributions vitales et uniques de nos femmes, hommes, jeunes, Aînés et personnes 2ELGBTQQIA+1 (voir l’encadré 4; Longman et coll., 2020; Viscogliosi et coll., 2020; Women’s Earth Alliance et Native Youth Sexual Health Network, 2016).

Figure 4

Toutes nos relations

Graphique gris circulaire avec un style distinct de traits de pinceau mettant en valeur cinq domaines de toutes nos relations. Le premier cercle comprend la reconnexion avec la terre et la culture, entouré des éléments suivants : Méthodes et connaissances traditionnelles; Les aînés et la terre comme enseignants; Cérémonies et rassemblements de guérison; Hommage à la Terre mère; Redonner et rééquilibrer. Le deuxième cercle comprend les observations et les expériences de changements sur le terrain, entouré des éléments suivants : Air et vents; Faune; Eau; Flore, arbres et forêts; Saisons imprévisibles/extrêmes. Le troisième cercle comprend Terre en santé, personnes en santé, entouré des éléments suivants : Impacts spécifiques sur la santé; Relations avec la terre; Pertes; Dégradation de la terre. Le quatrième cercle comprend les jeunes et les générations futures et est entouré des éléments suivants : Espoir; Jeunes et relations intergénérationnelles; Craintes et préoccupations pour les générations futures. Le cinquième cercle comprend le manque de soins et de respect pour la Terre mère comme raison fondamentale, entouré des éléments suivants : Extraction des ressources et industrie; Argent, profit et cupidité; Colonisation.
Source

Galway et coll., 2022

Illustration monochrome à l'aquarelle d'un caribou que l'on voit marcher dans la neige, vue à vol d'oiseau. Conçue par l'auteur, l'artiste et le chercheur en climatologie Gitxsan Hetxw'ms Gyetxw (Brett D. Huson).

5.4.2 Droits et responsabilités des Autochtones

La reconnaissance du statut, des rôles et des droits distincts des peuples autochtones, affirmés dans d’importants instruments nationaux et internationaux relatifs aux droits de la personne, notamment l’article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada, est au cœur des approches fondées sur les forces. D’autres instruments, tels que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2007) et son adoption ultérieure dans les administrations provinciales (Colombie-Britannique en 2019) et fédérales (Canada en 2021), affirment le droit à l’autodétermination des peuples autochtones (article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme). Le concept de droits prend également en compte les responsabilités qui incombent aux peuples autochtones lorsqu’ils interagissent avec le monde au-delà de l’humain. Ces responsabilités, soulignées par les valeurs humaines qui les sous-tendent, sont l’une des nombreuses contributions que les peuples autochtones apportent au reste de l’humanité (GIEC, 2022; Cameron et coll., 2021; Townsend et coll., 2021; Salmón, 2000). Une telle perspective découle de la compréhension du fait que les êtres humains doivent apprendre à vivre avec la terre, l’eau et la glace (McGregor, 2014; McGregor et coll., 2010; Cajete, 1999).

Ces droits (et ceux affirmés dans les traités, les revendications territoriales, les accords et autres dispositions constructives [voir l’encadré 1]) ont permis aux peuples autochtones de jouer le rôle de chef de file qui leur revient en matière de gouvernance environnementale, faisant ainsi progresser les ententes de cogestion et autres activités d’intendance (Cadman et coll., 2022; Qikiqtani Inuit Association, 2021; Peacock et coll., 2020; Snook et coll., 2018a; Armitage et coll., 2011). Par conséquent, de nombreux territoires autochtones conservent des niveaux élevés de biodiversité et des écosystèmes intacts, essentiels et d’importance mondiale (Schuster et coll., 2019). Les aires protégées et de conservation autochtones (APCA) (voir l’étude de cas 5.4 dans le REN-5) et les zones de protection marines autochtones (Imappivut Nunatsiavut Marine Plan, 2022) sont des exemples illustrant que les peuples autochtones assument de plus en plus des positions de chef de file en matière de gouvernance et d’action climatique, en tant que gardiens des territoires traditionnels depuis des temps immémoriaux (McDonald, 2023; Reed et coll., 2021b). Les paradigmes de « résurgence » autochtone (selon lesquels les peuples autochtones se réapproprient nos langues, nos cérémonies, nos enseignements, notre gouvernance et notre prise de décisions [Corntassel et Bryce, 2012]) s’appuient sur les forces de la culture et des connaissances traditionnelles fondées sur la terre en ce qui concerne le leadership autochtone en matière de gouvernance et de gestion des terres (Alfred et coll., 2015; Coulthard, 2014; Corntassel et Bryce, 2012; Simpson, 2011; Alfred, 2009; Alfred et Corntassel, 2005). Le leadership autochtone en matière de politique sur les changements climatiques peut donc garantir que le droit autochtone à l’autodétermination est respecté et maintenu, permettant aux peuples autochtones de continuer à assumer leurs responsabilités culturelles envers la terre au profit de toute l’humanité (voir la section 9.0; Powless, 2012).

Notes de bas de page

  1. Les personnes bispirituelles, lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles, transgenres, queers, en questionnement, intersexuelles, asexuelles et toutes les autres orientations sexuelles et de genre.
  2. Pour plus d’information, voir la vidéo « SevenGen 2022: The Power of Kinship » disponible à https://www.youtube.com/watch?v=dwk4T59pnU8
Suivante

Les changements climatiques sont l’une des nombreuses crises auxquelles sont confrontés les Premières Nations, les Inuit et les Métis