9.4.1 Occasions dirigées par des Autochtones et reconnaissance significative
Lorsque les politiques et les programmes relatifs aux changements climatiques sont contrôlés par les peuples autochtones plutôt que par une entité extérieure, les résultats sont radicalement différents (Thompson et coll., 2020). Cependant, pour que les actions climatiques contrôlées par les Autochtones portent fruit, il faut prévoir assez de fonds et de ressources. Sans un soutien et un investissement adéquat de la part des gouvernements, sans conditions paternalistes, même les actions climatiques les plus efficaces et les plus prometteuses menées par des Autochtones se heurtent à des difficultés.
Parmi les exemples d’actions climatiques menées par des Autochtones, citons l’exploitation indépendante de ressources renouvelables (Stefanelli et coll., 2019), des programmes de reprise après sinistre (Yellow Old Woman-Munro et coll., 2021), ainsi que la codification et l’application de lois autochtones, telles que la Great Resource Law du Grand conseil du Traité no 3 et la Manito Aki Inakonigaawin, qui garantissent le devoir de respecter et de protéger les terres susceptibles d’être touchées par la surexploitation, la dégradation et les processus contraires à l’éthique. La Nation Tsleil-Waututh, en Colombie-Britannique, a réalisé sa propre évaluation environnementale du projet d’extension du réseau d’oléoducs Trans Mountain par Kinder Morgan en utilisant sa politique de gestion comme cadre d’évaluation. Cette politique repose sur les principes juridiques des Tsleil-Waututh et des Salish de la côte et fournit une liste d’obligations d’intendance propres aux sites et aux espèces (Curran et Napoleon, 2020). En outre, le système de rétablissement après des inondations de la nation Siksika en Alberta est centré sur le principe juridique de l’Ispommita, qui relie les membres de la collectivité et crée une appartenance partagée en réponse aux répercussions des catastrophes causées par les changements climatiques (Yellow Old Woman-Munro et coll., 2021).
Pour assurer la réussite de ces types de programmes, il faut reconnaître les nations autochtones à leur juste valeur ainsi que leur droit à l’autodétermination (N. Wilson et coll., 2018). Les colons doivent faire leur part pour respecter les relations foncières autochtones, honorer les obligations légales, restaurer la gouvernance et prendre des mesures pour garantir une relation respectueuse (Irlbacher-Fox et MacNeill, 2020). La délégation de responsabilités aux peuples autochtones, comme le transfert de zones de droits maritimes coutumiers aux peuples autochtones (Fischer et coll., 2022), est indispensable à la reconnaissance efficace des droits et des nations autochtones. Le résultat optimal est une autodétermination durable, selon laquelle les nations ont la capacité de gérer les ressources et les terres selon la gouvernance traditionnelle (Cameron et coll., 2019). Les programmes climatiques menés par les Autochtones peuvent ensuite établir des normes pour les entités étatiques en matière de gestion des ressources et des terres (Curran et Napoleon, 2020). En outre, ils commencent à réduire le contrôle gouvernemental en faveur de la gouvernance environnementale autochtone (Curran et Napoleon, 2020).
En ce qui concerne la recherche, les cadres conçus par les Autochtones s’appuient sur le droit traditionnel et garantissent davantage de contrôle et d’autonomie sur la collecte de données au sein des collectivités (Reid et coll., 2021). Les peuples et collectivités autochtones participent à la recherche sur les changements climatiques et à des projets et initiatives axés sur les énergies renouvelables (CBC News, 2022; Hoicka et coll., 2021; Mercer et coll., 2020a; 2020b; 2020c; Stefanelli et coll., 2019; McDiarmid, 2017), l’amélioration de la sécurité alimentaire (Johnston et Spring, 2021; Desmarais, 2019; Lee et coll., 2019; Delormier et coll., 2017), la surveillance des répercussions des changements climatiques (N. Wilson et coll., 2018), en s’appuyant sur les connaissances traditionnelles pour combattre la crise climatique et s’y adapter (Thompson et coll., 2019; Pearce et coll., 2015; Reid et coll., 2014), et en mobilisant des jeunes, des femmes, des Aînés et la collectivité pour renforcer les connaissances et l’action climatiques (Whitney et coll., 2020; Arruda et Krutkowski, 2017; MacDonald et coll., 2015; Allen et coll., 2014; Big-Canoe et Richmond, 2014; Dowsley et coll., 2010).
9.4.2 Collaboration, approches plurielles et partenariats
Les approches collaboratives pour répondre à la crise climatique qui intègrent les systèmes de savoirs autochtones et occidentaux sont des structures bénéfiques pour faciliter la gouvernance climatique autochtone (Ermine, 2005). Ces approches offrent divers avantages, dont celui de favoriser l’autodétermination (Cameron et col., 2019), de réduire la dépendance envers les administrations publiques (Cameron et coll., 2019), et d’établir des priorités communes reposant sur la nécessité d’adopter des approches holistiques et intégratives et de tenir compte des différences complémentaires entre les deux systèmes de savoirs (Thompson et coll., 2020).
Parmi les exemples de modèles stratégiques axés sur la collaboration figurent les ententes de partage des ressources entre nations, la cogestion des terres et des ressources océaniques, les cadres juridiques pluralistes et les programmes autochtones de protection de l’environnement (voir l’étude de cas 14). L’Entente sur l’aire marine Gwaii Haanas (« l’Entente ») de 2010 élargit les responsabilités partagées en matière de planification, d’exploitation et de gestion coopératives de la première réserve d’aire marine nationale de conservation du Canada (Curran et Napoleon, 2020). Cette Entente désigne explicitement les Haïdas comme partenaires à part entière et précise que la relation échouera si l’une des parties exerce unilatéralement sa compétence (Curran et Napoleon, 2020). Contournant les autorités étatiques, les peuples autochtones ont également conclu des ententes sur les répercussions et les bénéfices avec les promoteurs industriels, afin de prévenir et de réduire les effets négatifs de projets industriels et d’assurer la distribution des bénéfices aux collectivités (Bowie, 2013).
Plusieurs mises en garde ont été formulées dans les études concernant les approches collaboratives et la cogestion. Premièrement, le pluralisme juridique et la collaboration peuvent perpétuer le « centrisme juridique », selon lequel les systèmes juridiques et les connaissances autochtones sont éclipsés par les systèmes juridiques dominants (Richardson, 2008). Deuxièmement, il reste à savoir si les systèmes de savoirs autochtones et la science occidentale peuvent être présentés comme égaux au sein d’une structure commune (voir l’étude de cas 14). Comme l’ont déclaré Fischer et coll. (2022), les deux peuvent être diamétralement opposés : « Nous sommes profondément convaincus que les connaissances autochtones et traditionnelles servent à établir des liens et à vivre, tandis que la science occidentale sert à conquérir et à contrôler » (Fischer et coll., 2022, p. 292).
9.4.3 Collaboration internationale, partage de connaissances et solidarité
La mondialisation a pour effet positif de faciliter la communication et le partage de stratégies et de solutions entre les peuples autochtones du monde entier (Fischer et coll., 2022). Le partage des connaissances et la solidarité sur la scène internationale permettent de faire le lien entre divers systèmes de savoirs et de remettre en question les tactiques historiques de division inhérentes à la colonisation (Cameron et coll., 2019). Sur la scène internationale, les peuples autochtones ont fait pression pour que leurs connaissances, leurs droits et leur gouvernance soient pris en compte dans les conventions et les initiatives, telles que la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Dans le cadre de la CCNUCC, les peuples autochtones ont obtenu l’inclusion d’un langage fondé sur les droits dans le préambule de l’Accord de Paris. Par ailleurs, on fait référence aux peuples autochtones cinq autres fois, y compris pour reconnaître leurs connaissances (art 7, para. 5). L’ajout de références aux peuples autochtones dans la CCNUCC a été suivi par le Forum international des peuples autochtones sur les changements climatiques et le Centre for International Environmental Law (UNFCCC, 2021), montrant une nette augmentation positive des références aux peuples autochtones et aux savoirs autochtones.
L’un des principaux résultats de ce travail est la plateforme pour les collectivités locales et les peuples autochtones qui, après plusieurs années de négociations, a créé le groupe de travail de facilitation, premier organe constitué dans le cadre de la CCNUCC caractérisé par une représentation égale des peuples autochtones et des États. Le terme « collectivités locales » a suscité de vives inquiétudes parmi les peuples autochtones, car ce terme entraîne une lente érosion des droits accordés aux peuples autochtones dans les documents internationaux, tels que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le Conseil circumpolaire inuit du Canada a publié une prise de position à cet égard, affirmant que « … la pratique consistant à utiliser le terme « collectivités locales » pour désigner les Inuit et les autres peuples autochtones s’inscrit dans une tendance alarmante dans le comportement des États, qui diminuent les normes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et qui prennent des mesures visant à dévaloriser le statut, les droits et le rôle des peuples autochtones » (CCI, 2020). Des positions similaires ont été adoptées par l’Assemblée des Premières Nations et l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones.
Dans le contexte du GIEC, un article paru en 2023 (Carmona et coll., 2023) évalue la manière dont le sixième rapport d’évaluation (AR6) reconnaît le rôle et les systèmes de savoirs des peuples autochtones dans la gouvernance climatique et en fait la promotion. L’article utilise une analyse de contenu des rapports des groupes de travail I, II et III, ainsi que du rapport de synthèse, pour montrer un nombre croissant de références aux peuples autochtones et à leurs systèmes de savoirs par rapport aux rapports d’évaluation précédents. Malgré cette croissance, ils ont également constaté que le GIEC continuait de reproduire une approche réductrice des connaissances et des droits des peuples autochtones; ce qui risque de favoriser des stéréotypes néfastes qui accroissent les inégalités. Alors que le GIEC prépare le septième rapport d’évaluation (AR7), les peuples autochtones se préparent à accroître leur participation afin de garantir de nouveaux progrès. Des progrès ont également été réalisés dans le Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal, adopté en décembre 2022, dans lequel les droits des peuples autochtones ont été explicitement reconnus, notamment en ce qui concerne le nouvel objectif « 30 pour 30 » (qui prévoit qu’au moins 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines seront effectivement conservées et gérées d’ici 2030).