Figure 7
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La souveraineté alimentaire est au cœur des cultures des Premières Nations, des Inuit et des Métis. La souveraineté en matière d’alimentation, d’eau et d’énergie est une priorité essentielle pour les Premières Nations, les Inuit et les Métis. Dans chaque contexte, la réaffirmation de l’autorité et de la prise de décisions permet une redistribution des pouvoirs en faveur des Premières Nations, des Inuit et des Métis. La revitalisation d’économies autochtones significatives fondées sur des relations avec la terre, l’eau et la glace est essentielle à cette redistribution et à l’action climatique menée par les Autochtones.

L’alimentation est au cœur de nos modes de vie. Nos aliments traditionnels nous ont permis de survivre pendant des millénaires, non seulement en nous nourrissant, mais aussi en soutenant notre culture, notre langue, nos valeurs et nos connaissances grâce aux pratiques de récolte, de préparation et de partage de la nourriture.

Nous avons le droit à la souveraineté alimentaire et à l’accès aux aliments que nous choisissons. En raison du colonialisme, nos collectivités sont confrontées à des taux d’insécurité alimentaire plus élevés que les autres populations, dans nos collectivités éloignées et dans les zones urbaines. Nous méritons l’équité et l’accès à des aliments adéquats, abordables et sains. 

L’eau et l’énergie sont des priorités essentielles pour nos collectivités. Nous devons avoir accès à une eau saine et la protéger, tant dans les environnements bâtis que naturels, pour nous-mêmes et pour nos relations au-delà de l’humain. Nous avons besoin d’innovation, de localisation et de sécurité quant aux sources d’énergie, qui profitent à nos collectivités et créent des économies significatives.

Les impacts des changements climatiques posent de nouveaux défis, de plus en plus nombreux et graves, relativement à notre sécurité alimentaire, hydrique et énergétique. En réponse, nous réaffirmons notre autorité et notre pouvoir décisionnel pour ce qui est de restaurer nos systèmes d’alimentation, d’eau et d’énergie. La revitalisation de nos économies, fondée sur nos relations avec la terre, l’eau, la glace et tous les êtres, est essentielle à ce processus, ainsi qu’aux efforts plus vastes de transition vers un avenir à faible émission de carbone.

8.1

Introduction

Malgré le développement de systèmes alimentaires très complexes depuis des temps immémoriaux, la colonisation a eu des répercussions importantes sur la capacité des Premières Nations, des Inuit et des Métis à accéder à des aliments traditionnels (Willows et coll., 2022; Robin et coll., 2021; Lemke et Delormier, 2017; Kulchyski et Tester, 2007). Le contrôle de la nourriture, de son partage, de sa récolte, de sa distribution et de sa production par le gouvernement fédéral au moyen de diverses lois et politiques coloniales, racistes et préjudiciables a opprimé les peuples autochtones, entraînant une insécurité alimentaire généralisée dans les collectivités des Premières Nations, des Inuit et des Métis (Étude sur l’alimentation, la nutrition et l’environnement chez les Premières Nations, 2021; Gombay, 2005). Face à ces défis, les Premières Nations, les Inuit et les Métis résistent à ces systèmes d’oppression en exerçant leur autonomie sur leurs terres, leurs eaux et leurs aliments traditionnels, et en faisant progresser la souveraineté alimentaire autochtone (Snook, 2021; Settee et Shukla, 2020; ITK, 2019a; CCI, s.d.).

L’alimentation permet de comprendre et d’aborder les enjeux liés aux changements climatiques dans les collectivités (Caughey et coll., 2022). Les changements climatiques ont des répercussions importantes sur les systèmes et la sécurité alimentaires des Autochtones, par exemple parce qu’ils modifient les conditions météorologiques et augmentent les coûts associés à la récolte et à l’accès à la nourriture, et parce qu’ils affectent les systèmes d’approvisionnement en eau (Lewis et Peters, 2017).

La souveraineté en matière d’alimentation, d’eau et d’énergie est une priorité essentielle pour les Premières Nations, les Inuit et les Métis (Huntington et coll., 2021b). Dans chaque contexte, la réaffirmation de l’autorité et de la prise de décisions permet une redistribution des pouvoirs en faveur des administrations publiques et citoyens de Premières Nations, Inuits et Métis. Ce mouvement vers l’autodétermination et la souveraineté est essentiel pour répondre à l’héritage structurel de la colonisation en relocalisant le contrôle des systèmes alimentaires, hydriques et énergétiques (Elliott et coll., 2022; Huntington et coll., 2021b).

Si les changements climatiques ont des répercussions importantes sur les systèmes économiques autochtones et non autochtones, le point de vue des peuples autochtones sur l’économie offre des informations précieuses. Le passage des principes d’organisation de la pénurie à l’abondance ouvre la possibilité de recadrer les discussions mondiales sur les « transitions justes » en passant d’une vision de « gagnants et de perdants » à une perception axée sur la coopération et la réciprocité, fondée sur la responsabilité de prendre soin de la terre dans son ensemble.

Iceberg monochrome à dôme bleu. Des ondulations gris clair s'étendent à partir de la ligne de flottaison.

8.2

Souveraineté, sécurité, sûreté et gestion de l’alimentation

Les Premières Nations, les Inuit et les Métis ont élaboré des systèmes alimentaires très complexes depuis des temps immémoriaux. Une production alimentaire sophistiquée, durable et régénérative était évidente d’un océan à l’autre, soutenant notre existence « … pendant des millénaires grâce à des régimes alimentaires sains composés d’aliments produits et cueillis localement, qui liaient étroitement les collectivités locales à leurs divers environnements » (Beck, 2017, p. 1). Dans le rapport de Human Rights Watch sur l’insécurité alimentaire chez les Premières Nations (2020), le chef héréditaire Gitanyow Malii raconte que le terme qu’utilisait son grand-père pour faire référence aux animaux et aux plantes de leur régime alimentaire traditionnel signifie « la table du dîner » dans sa langue. Il se souvient : « [Mon grand-père] décrivait l’orignal, les baies et les poissons comme cela. Il les qualifiait également de banque. » Les peuples autochtones caractérisent une approche holistique et relationnelle de l’alimentation comme étant « enracinée dans des pratiques alimentaires et des modes de vie fondés sur la terre et l’eau qui marquent des relations d’interdépendance entre les humains et entre les écologies humaines et naturelles. » (Pictou, 2018, p. 14).

Ces écosystèmes alimentaires ont radicalement changé avec l’arrivée des Européens (Pictou, 2017). Le contrôle du partage, de la récolte, de la distribution et de la production des aliments a été brandi comme une arme, renforçant les doctrines coloniales de violence, d’assimilation et de dépossession (Nightingale et Richmond, 2022; Richmond et coll., 2021). Par exemple, Daschuk (2014) décrit comment la famine a été délibérément utilisée comme arme politique par le gouvernement canadien pendant l’expansion des Prairies pour contraindre les « Indiens non coopératifs » à s’installer dans des réserves et les éloigner des terres convoitées par les colons blancs. D’autres répercussions se sont manifestées de différentes manières, comme les taux élevés de maladies transmises par l’eau et les aliments (Thivierge et coll., 2016; Harper et coll., 2015a; Harper et coll., 2015b; Goldfarb et coll., 2013), le manque de sources d’aliments sains abordables et accessibles (Beaumier et coll., 2015; Conseil des académies canadiennes, 2014), la contamination des terres et de l’eau (Traditional Ecological Knowledge Elders Group, s.d.) et le déclin du pourcentage d’aliments récoltés à partir de sources traditionnelles en raison de la diminution de l’accès aux terres, de la perte des compétences en matière de récolte, de l’augmentation des coûts, des restrictions sur la chasse et de l’accès accru aux aliments achetés en magasin (Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, 2013). Le Traditional Ecological Knowledge Elders Group a fait part de ses préoccupations concernant l’herbicide glyphosate : « Nous dépendons socialement, économiquement, spirituellement et culturellement de la santé de la forêt, y compris de la faune, de la flore, de l’eau et du sol. Dans de nombreuses régions, nous ne pouvons pas être sûrs que les médicaments et les aliments que nous récoltons sont propres et non contaminés. L’arrosage à partir d’avions de glyphosate viole nos droits à l’eau, à la chasse, à la pêche et à la cueillette de baies et de plantes médicinales dans nos territoires traditionnels » (Traditional Ecological Knowledge Elders Group, s.d.).

Les données montrent que 48 % des ménages de Premières Nations ont de la difficulté à mettre suffisamment de nourriture sur la table (Chan et coll., 2021) et que les Inuit représentent le peuple autochtone le plus touché par l’insécurité alimentaire dans les pays développés (ITK, 2019a; Rosol et coll., 2011). Pour ce qui est des Métis, il n’y a pas assez de recherches sur les répercussions de l’insécurité alimentaire liées aux changements climatiques, mais des préoccupations ont été soulevées concernant la réduction de la durée de la chasse à l’oie, les changements dans le mouvement et l’emplacement des poissons et de leur habitat, les changements dans la santé, le comportement et la distribution des caribous et des orignaux, les changements dans la disponibilité et la qualité de certains types de baies et les conséquences de températures plus élevées sur les méthodes de conservation des aliments (Métis Nation British Columbia, 2022; North Slave Métis Alliance community members et coll., 2017; Guyot et coll., 2006). Dans cette optique, la revitalisation des systèmes alimentaires autochtones est au cœur de la crise climatique et « constitue une part importante du rétablissement des répercussions de la colonisation » (Simpson, 2011, p. 131).

Les changements climatiques ont des répercussions importantes et croissantes sur les systèmes alimentaires autochtones et sur l’accessibilité à la nourriture. L’imprévisibilité des conditions météorologiques et environnementales liées aux changements climatiques et l’augmentation des coûts de la récolte (p. ex., nourriture supplémentaire, essence, fournitures, voyages multiples) menacent la capacité des Premières Nations, des Inuit et des Métis à se déplacer sur la terre, l’eau et la glace pour accéder aux aliments traditionnels (King et Furgal, 2014). En outre, le gel plus tardif et le dégel plus précoce causés par le réchauffement des températures raccourcissent la saison des routes d’hiver; il faut ainsi d’autres moyens pour acheminer les denrées alimentaires vers les collectivités isolées, ce qui augmente le coût déjà élevé des denrées alimentaires importées dans les régions nordiques et isolées. On s’attend à ce que les changements climatiques aient une influence sur les moyens de subsistance qui dépendent de l’exploitation du poisson, des plantes et de la faune sauvage (voir l’étude de cas 9; ICC Alaska, 2020; Jantarasami et coll., 2018; Parlee et coll., 2014; Dittmer, 2013), tout comme ceux de l’agriculture (Settee, 2020; Shinbrot et coll., 2019; Saint Regis Mohawk Tribe, 2013), du transport (Hori et coll., 2018a; 2018b) et du tourisme et des loisirs (CCI, 2008).

Ces facteurs combinés ont entraîné une diminution de la consommation d’aliments locaux sains et privilégiés sur le plan culturel, et une dépendance accrue à l’égard des aliments vendus au détail (Dodd et coll., 2018a, 2018b; Medeiros et coll., 2017; Berner et coll., 2016; Loring et Gerlach, 2015). Cette situation exacerbe les taux déjà élevés de maladies chroniques prévalant chez les Premières Nations, les Inuit et les Métis, notamment l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires (Kolahdooz et coll., 2015; Reading, 2015). Les Premières Nations, les Inuit et les Métis réagissent à cette réalité en exerçant leur autonomie sur leurs terres et leurs aliments traditionnels; processus crucial pour lutter contre la marginalisation socioéconomique et les disparités en matière de santé (Coté, 2016).

Dans l’ensemble du Canada, il y a eu d’autres exemples novateurs soulignant l’affirmation de la souveraineté alimentaire autochtone, notamment des jardins scolaires et communautaires, des serres, des programmes d’éducation alimentaire traditionnelle, des coopératives maraîchères et alimentaires, des programmes de récolte et de partage d’aliments traditionnels, des banques d’aliments sauvages et des clubs d’achat de poisson (Robin, 2019; Kamal et coll., 2015; Martens, 2015; Thompson et coll., 2012; Thompson et coll., 2011). D’autres s’appuient sur de solides réseaux traditionnels de partage de la nourriture pour faire face à toute vulnérabilité causée par les changements climatiques. Par exemple, en 2017, dans le bassin hydrographique de la rivière Skeena, les remontées de saumon ont atteint un niveau historiquement bas, ce qui a nécessité un déplacement vers le territoire voisin des Nisga’a pour accéder à des stocks de poissons plus sains (Human Rights Watch, 2020). Dans les centres urbains, offrir aux populations autochtones la possibilité de se familiariser avec les pratiques traditionnelles et les systèmes de savoirs en matière d’alimentation s’est avéré un mécanisme éprouvé pour renforcer la souveraineté alimentaire autochtone (Ray et coll., 2019). Dans un contexte inuit, Sudlovenick (2019) a travaillé avec des chasseurs d’Iqaluit pour discuter de la question de savoir si les nattiit (phoques annelés) pouvaient être consommés en toute sécurité, en raison de la présence de cinq agents pathogènes (Brucella canis, B. abortus, Erysipelothrix rhusiopathiae, Leptospira interrogans, T. gondii), démontrant ainsi la façon dont les systèmes de savoirs autochtones peuvent orienter les mesures d’adaptation.

Lynn et coll. (2013) ont reconnu l’importance d’exploiter les systèmes de savoirs autochtones pour faire face aux impacts des changements climatiques. Même si la législation du gouvernement du Canada a historiquement empêché de nombreuses Premières Nations de participer à l’agriculture (Tang, 2003), il existe aujourd’hui plusieurs exemples d’initiatives agricoles réussies entreprises par les Premières Nations, notamment la Première Nation de Muskoday en Saskatchewan, qui exploite avec succès une coopérative d’agriculture biologique depuis plus d’une décennie (Martens, 2016) et les producteurs de la Nation Kainai (tribu des Blood) dans le sud de l’Alberta (Kulshreshtha et coll., 2011). La Métis Nation of British Columbia a lancé un projet pilote de jardinage à domicile en 2021 pour aider les citoyens métis à acheter leurs propres fournitures de jardinage. Le programme a connu un tel succès qu’il a été prolongé en 2023 pour fournir à plus de 300 ménages des ressources leur permettant d’accéder à des aliments nutritifs et de rétablir un lien avec leur système alimentaire (Métis Nation British Columbia, s.d.)

8.3

Leadership autochtone au cœur de la souveraineté en matière d’eau et d’énergie

La souveraineté en matière d’eau et d’énergie est une priorité essentielle pour les Premières Nations, les Inuit et les Métis. Dans chaque contexte, la réaffirmation de l’autorité et de la prise de décisions permet une redistribution des pouvoirs. Cette évolution vers l’autodétermination et la souveraineté est essentielle pour répondre aux séquelles structurelles de la colonisation. Compte tenu de ce qui précède, nous nous concentrerons ici sur l’eau et l’énergie.

 8.3.1 Énergie

Les collectivités des Premières Nations, des Inuit et des Métis jouent de plus en plus un rôle de premier plan dans les initiatives d’énergie propre, menant actuellement un total de 204 projets de plus de 1 MW dans l’ensemble du Canada (voir l’encadré 6; Indigenous Clean Energy, 2022a; Hoicka et coll., 2021). Depuis 2017, le nombre de projets autochtones d’énergie propre de moyenne et grande envergure (plus de 1 MW, alimente plus de 150 foyers) a augmenté de 29,6 %. Les sources d’énergie de ces projets comprennent l’hydroélectricité (56,5 %), l’énergie éolienne (22,9 %), l’énergie solaire (11,8 %), la bioénergie (7,1 %) et les sources hybrides (1,7 %) (Indigenous Clean Energy, 2022a). De manière générale, il est clairement reconnu que l’énergie propre peut soutenir les principes de gestion et de relation des visions du monde autochtones (Jaffar, 2015), la récupération des droits fonciers et environnementaux (Lowan-Trudeau, 2017), le développement économique local et à l’autosuffisance (Lipp et Bale 2018; Rezaei et Dowlatabadi, 2016) et les efforts en faveur de l’autonomie et de l’autodétermination (Stefanelli et coll., 2019). Plusieurs études et rapports ont porté sur la participation des autochtones aux initiatives en matière d’énergie renouvelable au Canada et la réaction des collectivités autochtones aux politiques préférentielles, telles que les lois sur les tarifs de rachat ou la connexion au réseau pour les collectivités hors réseau (Indigenous Clean Energy, 2022a; Hoicka et coll., 2021; Stefanelli et coll., 2019). Pour ce faire, il est essentiel de relever les défis liés à la gouvernance, aux réglementations et aux politiques en matière d’électricité, qui relèvent souvent de la compétence des gouvernements provinciaux et territoriaux et font partie du rôle des services publics et privés (Indigenous Clean Energy, 2022a).

Les avantages des projets historiques d’énergie « verte » font l’objet d’un débat permanent. En particulier, le développement hydroélectrique a été le point de mire de la résistance autochtone en raison des énormes changements potentiels aux paysages terrestre et aquatique, ainsi que des répercussions à long terme des émissions de GES et des rejets de méthylmercure (Tsuji et coll., 2021). Les grands projets, qu’ils soient historiques (comme le barrage Bennett et le système de barrages en territoire cri et inuit) ou contemporains (comme le projet C et Muskrat Falls), ont suscité des réactions importantes de la part des populations autochtones, qui ont abouti à des protestations et à des concessions (Luby, 2020). Ces projets peuvent avoir des conséquences négatives importantes sur la capacité des peuples autochtones à pratiquer la chasse, la récolte et la cueillette, ainsi que sur les sites sacrés et les repères culturels. Par exemple, la Convention des Cris de la Baie James et du Nord québécois, l’une des premières revendications territoriales modernes au Canada, a été motivée par l’intérêt du Québec pour le développement hydroélectrique (Nungak, 2017). Le processus de consultation et de consentement pour ces projets peut souvent être inadéquat, les préoccupations et les intérêts des Premières Nations, des Inuit et des Métis n’étant pas suffisamment pris en compte. Les déchets de l’énergie nucléaire suscitent des inquiétudes similaires. En Ontario, par exemple, les Premières Nations et les gouvernements métis ont exprimé de vives inquiétudes quant au transport et au stockage des déchets nucléaires, y compris dans le réservoir géologique profond proposé. Les petits réacteurs modulaires ont toutefois suscité un certain intérêt de la part des Premières Nations (p. ex., CBC News, 2021; Qaujigiartiit Health Research Centre, 2019), en raison de leur potentiel de production d’énergie modulaire.

8.3.2 Eau

Les Premières Nations, les Inuit et les Métis ont affirmé leur autorité en matière de gouvernance, de recherche et de gestion de l’eau (voir l’encadré 7; Craft et King, 2021; Irvine et coll., 2020). Par exemple, la stratégie Northern Voices, Northern Waters (Voix du Nord, eaux du Nord) (2018) des Territoires du Nord-Ouest comprend explicitement des dispositions pour la reconnaissance des droits autochtones et considère les connaissances autochtones comme équivalentes à la science occidentale (Global Water Futures, 202; Sandford et coll., 2011). À Mittimatalik (Pond Inlet), au Nunavut, des jeunes et des partenaires de soutien utilisent les connaissances traditionnelles des Aînés de la collectivité de concert avec des méthodes scientifiques occidentales, telles que l’échantillonnage de l’eau, pour étudier la fréquence croissante des maladies gastro-intestinales dans la collectivité (ITK, 2019b). Toutefois, le rapprochement des systèmes de savoirs peut s’avérer difficile en pratique (Mantyka-Pringle et coll., 2017). Par exemple, si le Conseil du bassin du Mackenzie a pour mandat d’inclure les peuples autochtones et d’intégrer les connaissances autochtones, il est difficile de représenter adéquatement les divers intérêts et connaissances des nombreuses collectivités autochtones particulières dans les travaux du Conseil (voir l’étude de cas 8; Morris et de Loë, 2016).

Kayak et pagaie bleus vus d'un œil de phoque. Des ondulations gris clair s'étendent de la poupe et de la proue. Conçu par Hetxw'ms Gyetxw (Brett D. Huson), auteur, artiste et chercheur en climatologie Gitxsan.

8.4

Impacts des changements climatiques sur les systèmes économiques autochtones et régénération d’économies significatives

« Nous avons un intérêt très réel au sein de la collectivité internationale et nos voix doivent être entendues. Il ne s’agit pas seulement d’un obstacle pour vos résultats, pour l’économie. Il s’agit d’une crise climatique. »
– 
Chef Dana Tizya-Tramm, Première Nation des Vuntut Gwitchin

8.4.1 Impacts des changements climatiques sur les systèmes économiques autochtones

Dans les sections précédentes, nous avons décrit les changements climatiques comme un impact cumulatif lié à l’histoire et à l’héritage du colonialisme. Dans le contexte canadien, cette situation est directement liée à l’imposition d’un système économique aux Premières Nations, aux Inuit et aux Métis, reposant sur l’expulsion, la dépossession et la criminalisation. En outre, les pratiques coloniales du Canada ont empêché les Premières Nations, les Inuit et les Métis de participer à l’économie canadienne (Yellowhead Institute, 2021), et elles ont contribué à l’assimilation des peuples autochtones à des citoyens capitalistes libéraux (Pasternak, 2020). Ce contexte est essentiel pour comprendre les répercussions d’un climat en évolution rapide sur les systèmes économiques autochtones, qui reposent sur des relations protégeant le bien-être des populations, la culture et les systèmes de savoirs (Kelly et Woods, 2021).

En revanche, l’engagement continu en faveur de l’exploitation des ressources sur les terres et les eaux des Premières Nations, des Inuit et des Métis (comme en témoigne la Stratégie canadienne sur les minéraux critiques de 2022 du gouvernement du Canada) compromet la capacité des peuples autochtones à vivre avec la terre en miyo wiche-towin (bonnes relations) ou à avoir miyo pimatsowin (une vie ou des moyens de subsistance bons ou sains), par la chasse, la pêche ou la récolte (Jobin, 2020, p. 109). Ce modèle d’exploitation se fonde sur l’extraction du maximum possible et sur l’atténuation des risques « inacceptables » (Curran et coll., 2020). Selon ce modèle, les gouvernements et les citoyens inuits, métis et de Premières Nations sont contraints d’intégrer des systèmes économiques à des systèmes non autochtones. Les peuples autochtones s’y opposent activement (Hilton, 2021; Kelly, 2017; Kuokkanen, 2011), et proposent des solutions de rechange cohérentes et réalisables au système économique dominant (voir la section 8.4.3).

Au cours de la dernière décennie, les citoyens et les gouvernements Inuits, Métis et des Premières Nations ont progressé dans leur participation à l’économie générale, notamment grâce aux accords sur les répercussions et les avantages, au partage de ressources et aux politiques progressives en matière de marchés publics. Cependant, nous avons de la difficulté à contrôler la prise de décisions, y compris à l’égard de la location ainsi que de l’octroi de permis et de licences sur nos terres et nos eaux, sans obstruction constante (Pasternak, 2020). Au cœur de ces défis se trouve la question fondamentale de savoir qui est habilité à prendre des décisions économiques (p. ex., en ce qui concerne l’exploitation des ressources, la construction d’autoroutes ou d’autres décisions liées à l’infrastructure) sur les terres et les eaux. Kelly (2017) le souligne clairement : « le défi que doivent relever les peuples autochtones qui contestent les fondements du capitalisme consiste à se demander à qui profite le succès économique et qui paie le coût de l’exploitation des terres et des ressources » (p. 107). Les décisions qui sous-tendent la transition vers un avenir à faibles émissions de carbone, y compris les décisions de décarbonisation, ne peuvent être prises sans tenir compte clairement de l’objectif simultané de décolonisation.

8.4.2 Participation des populations autochtones à l’élaboration d’un avenir à faibles émissions de carbone

Les Premières Nations, les Inuit et les Métis participent de multiples façons à l’économie mondiale et à la transition vers un avenir à faibles émissions de carbone. En soulignant cette diversité, notre intention n’est pas de créer des divisions entre les peuples autochtones qui sont pour ou contre le développement, ou à l’extrême, ceux qui « ont vendu » leurs valeurs autochtones ou y « sont restés fidèles » (Atleo, 2021). Les Premières Nations, les Inuit et les Métis peuvent à la fois être ancrés dans leur culture et participer à l’économie moderne. Notre exploration vise plutôt à mettre en lumière la complexité que les citoyens, les gouvernements et les collectivités des Premières Nations, des Inuit et des Métis doivent affronter face au colonialisme de peuplement, au capitalisme néolibéral, à la prise de décisions en matière d’environnement et aux luttes permanentes pour l’autodétermination autochtone. Comme le résume bien la Commission de vérité et réconciliation (2015), la réconciliation durable comprend la réalisation du potentiel économique des peuples autochtones d’une manière juste et équitable qui respecte leur droit à l’autodétermination (p. 207). Par conséquent, la lutte contre les changements climatiques et son lien avec la transition vers une économie à faibles émissions de carbone est, à la base, une question d’autodétermination.

Les conclusions et le rapport de la conférence Toward Net Zero by 2050 (Vers un bilan zéro d’ici 2050), préparés par la First Nations Major Projects Coalition (2022), ont exploré les possibilités offertes aux peuples autochtones dans le cadre de la transition énergétique carboneutre. En donnant des exemples de minéraux essentiels, de production d’énergie propre, de captage, d’utilisation et de stockage du carbone, ainsi que de financement durable, ils ont présenté une nouvelle vision dans laquelle les nations autochtones possèdent ou se voient offrir la possibilité de posséder ou d’entrer en participation dans des projets d’infrastructure énergétique carboneutre et résiliente aux changements climatiques. Certains gouvernements inuits, métis et des Premières Nations continuent de rechercher à établir des partenariats participatifs dans l’exploitation de ressources, y compris l’exploitation du pétrole et du gaz conventionnels (tels que le gaz nitrifié liquide) et l’infrastructure nécessaire à leur transport (tels que les pipelines). Dans ces contextes, on peut également se demander si les partenariats participatifs, sans tenir compte des cadres décisionnels sous-jacents dans les systèmes fédéraux, provinciaux ou territoriaux, sont suffisants pour véritablement faire progresser la décolonisation et soutenir l’autodétermination des gouvernements des Premières Nations, des Inuit et des Métis.

Il existe de nombreux autres exemples de Premières Nations, d’Inuit et de Métis qui s’efforcent de perturber le système économique dominant, de manière formelle ou informelle. Les peuples autochtones se sont tournés vers les tribunaux dans le cadre de litiges stratégiques pour rétablir notre compétence et notre autorité sur l’exploitation des ressources, comme dans l’affaire Delgamuukw (L’Encyclopédie canadienne, 2019). Lorsque ces efforts ne portent pas fruit, les Premières Nations, les Inuit et les Métis peuvent recourir à d’autres formes de résistance. Indigenous Climate Action (2022; 2021a; 2021b) a publié plusieurs documents dans le cadre de ses travaux sur la décolonisation des politiques climatiques, qui mettent en cause les mécanismes de marché (tels que les crédits de carbone compensatoires et les innovations technologiques comme la géo-ingénierie) qui perpétuent les systèmes coloniaux et capitalistes à l’origine de la crise climatique. Quelle que soit la manière dont les citoyens et les gouvernements inuits, métis et des Premières Nations participent à l’action climatique et à la transition vers la carboneutralité, ils défendent notre droit à l’autodétermination.

8.4.3 Régénération des économies significatives sous l’égide des Autochtones

L’érudit Potawatomi Robin Wall Kimmerer parle de l’origine du système économique occidental comme d’un système de pénurie, d’accumulation et de concurrence (Kimmerer, 2013). En décrivant sa relation avec le Bozakmin (« amélanchier » en Potawatomi), elle présente une approche alternative de l’organisation économique : une économie du don qui « découle de l’abondance des dons de la Terre, qui ne sont la propriété de personne et qui sont donc partagés ». Carol Anne Hilton (2021), dans son livre Indigenomics, décrit cette différence : « Alors que l’économie occidentale dominante est axée sur les transactions monétaires comme source d’échange, l’économie autochtone est fondée sur les relations. Les économies autochtones sont l’économie de partage originale, l’économie verte originale, l’économie régénérative, l’économie collaborative, l’économie circulaire, l’économie d’impact et l’économie du don originale. L’économie autochtone est l’économie sociale originelle » (p. 91).

Ce fondement des relations et l’extension de la justice à tous les êtres sont des éléments clés des économies autochtones (Trosper, 2022). Coulthard (2013) nous met au défi d’éviter de penser qu’il s’agit de concepts du passé. Au contraire, en appliquant les principes de gouvernance autochtone aux activités économiques non traditionnelles, nous pouvons soutenir des économies autochtones prospères. Cash Back, rapport spécial de l’Institut Yellowhead (2021), résume bien cette situation :

« La multiplicité des économies autochtones n’est pas une chose de l’avenir : elles existent déjà. On l’observe dans les pêches réglementées par les collectivités et les barrages démantelés où l’on retrouve des poissons locaux. On le constate dans les congélateurs communautaires de viande sauvage et les festins qui permettent de nourrir les gens, y compris sur le plan affectif. Ces économies sont présentes dans les protocoles liés à la gouvernance des camps d’érablières et aux récoltes de saumon. Elles jouent un rôle dans les chaînes de production de rouges à lèvres, dans les compagnies aériennes et dans les microentreprises de fabrication de mocassins. Ces économies valent plusieurs milliards de dollars dans les domaines des lotissements locatifs, du commerce du tabac et des magasins de bois. Elles jouent aussi un rôle dans les mouvements de coupure des fonds de la police, les initiatives de réduction des risques, et les centres d’amitié pour enfants. Les économies autochtones se caractérisent essentiellement par le fait qu’elles n’exploitent pas les personnes ni ce dont elles dépendent. Elles protègent un monde qui n’est pas prêt à évaluer le temps, les terres et les récoltes des gens uniquement en termes monétaires » (p. 8) 

Les peuples autochtones sont confrontés à des défis dans l’expression de nos économies, notamment en raison de l’évolution rapide du climat et de l’héritage structurel et permanent de la colonisation. Faire de la place à des économies autochtones prospères (notre fondement pour l’éthique en matière de relation, de réciprocité et de responsabilité) peut offrir des perspectives importantes en ce qui concerne les efforts déployés pour faire progresser la décolonisation et la décarbonisation, et peut ouvrir la voie à une action climatique menée par des Autochtones.

Feuillage persistant violet stylisé et monochrome.

Suivante

L’autodétermination est essentielle à l’action climatique dirigée par les Autochtones