Les impacts des changements climatiques sur les Premières Nations, les Inuit et les Métis ne se limitent pas à la terre, à l’eau et à la glace. Les impacts sur les infrastructures naturelles et bâties, par exemple, constituent une préoccupation majeure dans l’ensemble du pays. La Stratégie nationale inuite sur les changements climatiques a fait des infrastructures l’une de ses cinq grandes priorités, reconnaissant la nécessité de combler les lacunes en matière d’infrastructures dans l’Inuit Nunangat, grâce à de nouvelles constructions résilientes aux changements climatiques, à la modernisation des bâtiments existants, ainsi qu’à l’adaptation, aux évaluations, aux pratiques du bâtiment et aux codes dirigés par les Inuit et intégrant le savoir inuit (ITK, 2019a). De même, la Stratégie nationale sur le climat de l’Assemblée des Premières Nations désigne le comblement des lacunes en matière d’infrastructures naturelles et bâties l’un de ses sept domaines prioritaires.
Les infrastructures s’avèrent de plus en plus vulnérables aux impacts des changements climatiques, notamment aux changements dans les températures et les précipitations, à la dégradation du pergélisol et à l’érosion côtière (voir REN-2; REN-3; ITK, 2019a). Dans l’Arctique, le dégel du pergélisol peut endommager les infrastructures d’approvisionnement en eau potable et de traitement des eaux usées, ce qui peut causer une contamination des eaux souterraines, de l’eau potable et d’autres sources d’eau par les eaux usées (voir RPR-6; GIEC, 2014, p. 726). L’érosion côtière le long des trois littoraux du Canada constitue une autre menace pour les infrastructures, notamment pour les systèmes d’eau potable. Par exemple, en décembre 2010, l’île de Lennox (l’Île-du-Prince-Édouard), où vit la Première Nation Mi’kmaw de Lennox Island, a connu une violente tempête qui a provoqué une onde de tempête de 36 heures, fermant temporairement la route menant à la collectivité (voir l’étude de cas 1.8 du RPR-1; Coldwater Consulting Ltd., 2016, cité dans Lewis et Peters, 2017) et menaçant l’usine de traitement des eaux usées et les lagunes associées (Jardine, 2016, cité dans Lewis et Peters, 2017). La Nation de Tsleil-Waututh, située sur le bras de mer Burrard, en Colombie-Britannique, subit les impacts de l’élévation du niveau de la mer, des inondations côtières et de l’érosion du littoral, ce qui a des répercussions sur ses terres, ses infrastructures, ses écosystèmes et ses sites historiques culturels (voir l’étude de cas 2.5 de REN-2; Kerr Wood Leidal Associates Ltd. (KWL) et Tsleil Waututh Nation, 2021). Cette Nation a également établi un partenariat avec le Coastal Adaptation Lab de l’Université de la Colombie-Britannique dans le cadre du projet Living with Water (Vivre avec l’eau), afin d’étudier la manière dont les connaissances autochtones peuvent contribuer aux mesures d’adaptation côtière (Owen, 2020).
Les préoccupations en matière de santé attribuables aux impacts sur les infrastructures sont graves et variées. Par exemple, les systèmes de drainage des égouts pluviaux ne peuvent souvent pas gérer le volume des eaux de ruissellement, ce qui provoque des refoulements d’égouts qui inondent les sous-sols et conduisent l’introduction de contaminants, tels que des eaux usées brutes, dans les maisons, et notamment des agents pathogènes nocifs pour la santé humaine (voir SCCC-2; Horton et McKenzie, 2009, cité dans Lewis et Peters, 2017). Le ruissellement lors de fortes précipitations peut également entraîner depuis les routes l’écoulement d’hydrocarbures (composants du gaz ou du pétrole), notamment des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques issus du diesel, de l’essence ou du pétrole), et des métaux lourds (tels que le plomb, le cadmium et le mercure), dans les systèmes d’eaux souterraines, ce qui constitue une préoccupation importante à proximité de zones peuplées (Horton et McKenzie, 2009, cités dans Lewis et Peters, 2017). La salmonelle et la campylobactérie sont des pathogènes bactériens d’origine hydrique courants qui sont connus pour être sensibles aux changements climatiques (GIEC, 2014). En fait, les facteurs climatiques tels que les fortes précipitations ont augmenté le risque de maladies d’origine hydrique causées par des agents pathogènes (ITK et CCI, 2021; Harper et coll., 2020; ITK 2020b; Thomas, et coll., 2007). Les changements climatiques entraînent de graves répercussions sur les ressources en eau et la sécurité, en raison de la modification des schémas de précipitations, de l’augmentation de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes et de la fonte du pergélisol, qui entraînent des changements dans la durée et le volume des écoulements fluviaux, ce qui a également une incidence sur la qualité de l’eau (voir RPR-6). La résolution de ces problèmes nécessite l’élaboration d’une série de mesures, notamment la mise en place de systèmes de gestion et de gouvernance de l’eau plus efficaces, des investissements dans les infrastructures d’approvisionnement en eau potable et de traitement des eaux usées ainsi qu’une collaboration accrue entre les collectivités collectivité du Nord, les administrations publiques et les populations autochtones du Nord (voir RPR-6).
Les infrastructures d’eau potable illustrent les défis multiples et interdépendants auxquels se heurtent les Premières Nations, les Inuit et les Métis, et qui sont amplifiés par les changements climatiques (ITK et CCI, 2021; ITK, 2020b; Castleden et Skinner, 2014). Les réseaux d’eau potable des Premières Nations se trouvent souvent en mauvais état, ce qui accroît le risque de défaillance face aux changements climatiques. Une évaluation nationale des systèmes d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées des Premières Nations, réalisée en 2011, a révélé que sur les 807 systèmes d’approvisionnement en eau desservant 560 Premières Nations, 314 (39 %) présentaient un risque global élevé, 278 (34 %), un risque global moyen, et seulement 215 (27 %), un risque global faible (Affaires autochtones et du Nord Canada, 2011, p. ii). En 2014, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a signalé que la situation de l’eau potable dans les collectivités de Premières Nations et des Inuit était préoccupante : « plus de la moitié des systèmes d’approvisionnement en eau présentant un risque moyen ou élevé pour la santé de leurs utilisateurs » (Anaya, 2009, p. 8). En 2015, le gouvernement du Canada s’est engagé à mettre fin, dans un délai de cinq ans, à tous les avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable dans les collectivités des Premières Nations. En 2018, 40 avis ont été levés, mais 26 nouveaux avis et 36 avis à court terme ont été ajoutés (Fondation David Suzuki, 2018). Les Mohawks de la baie de Quinte, près de Kingston (Ontario), par exemple, font l’objet d’avis sur l’eau potable depuis plus de dix ans en raison d’une contamination fécale, bactérienne et par des algues (Alhmidi, 2021). Cette collectivité compte environ 2 250 résidents, auxquels s’ajoutent 8 000 membres inscrits vivant hors réserve (Affaires autochtones et du Nord Canada, 2019). La Première Nation de Neskantaga, dans le nord de l’Ontario, fait également l’objet d’un avis d’ébullition de l’eau depuis 1995. Il s’agit du plus long de toutes les Premières Nations du Canada. En 2020, cette Première Nation a évacué des membres dans des hôtels de Thunder Bay, malgré la construction d’une nouvelle usine de traitement des eaux deux ans auparavant (Stefanovich, 2020).
Les répercussions sur la santé physique ne représentent qu’un aspect des multiples perturbations causées par les changements climatiques. On constate également des répercussions importantes sur la santé mentale, émotionnelle et spirituelle (voir l’étude de cas 4; REN-3; RPR-6; SCCC-4). Les personnes qui vivent dans des conditions telles qu’elles ne peuvent pas fournir à leur famille un accès à de l’eau saine, à de la nourriture et à un abri ou à un environnement sûr sont susceptibles de subir un stress et un traumatisme immenses. La crise du logement dans les réserves à laquelle se heurtent les Premières Nations en est un bon exemple. Les estimations produites par le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations, à partir des données de l’enquête réalisée par l’Assemblée des Premières Nations sur les besoins en logements et en infrastructures connexes dans les réserves, signalent un déficit d’environ 85 700 logement pour répondre à la demande actuelle. En outre, 34 % des logements existants nécessitent des réparations mineures et 31 % des réparations majeures (Assemblée des Premières Nations, 2018). La situation des Inuit est similaire : plus de la moitié (51,7 %) des Inuit de l’Inuit Nunangat vivent dans des logements surpeuplés, contre 8,5 % de la population canadienne non autochtone (Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, 2019). Pour les Premières Nations, le sous-financement gouvernemental, une croissance démographique rapide, des politiques restrictives et d’autres facteurs ont conduit à divers enjeux sanitaires et sociaux. Il s’agit notamment de maladies respiratoires, de problèmes de santé mentale et d’un risque accru de violence (Stout, 2018). Les peuples autochtones souffrent de manière disproportionnée de ces conditions, lesquelles sont exacerbées par les changements climatiques. Le présent rapport met l’accent sur les inégalités et les injustices historiques et persistantes résultant du colonialisme ainsi que des politiques, de la gouvernance et des lois climatiques imposées, lesquelles aggravent encore davantage les répercussions des changements climatiques sur les peuples autochtones (Mercer, 2022; Arsenault, 2018; Collins et coll., 2017).