Comprendre les processus du pergélisol sous l’aéroport d’Iqaluit

En 2017, des chercheurs de l’Université Laval ont mené une analyse quantitative des risques de la sensibilité de l’aéroport international d’Iqaluit (YFB) au tassement dû au dégel et à la dégradation du pergélisol. Situé dans la ville d’Iqaluit sur le territoire du Nunavut, l’aéroport d’Iqaluit est un carrefour pour le transport aérien dans l’est de l’Arctique canadien. L’aéroport YFB est doté d’une piste de 2 750 mètres et d’aires de trafic connexes desservant les communautés d’Iqaluit, du Nunavut et d’autres communautés à l’extérieur du Nunavut, la ville d’Iqaluit étant le carrefour de transit. Il a été construit dans les années 1940 et des aires de trafic ainsi que des voies de circulation supplémentaires ont été construites dans les années 1950, 1970 et 2010. Ces voies ont été resurfacées et réparées à de nombreuses reprises tout au long du cycle de vie des infrastructures. Comme c’est le cas pour la plupart des infrastructures dans l’Arctique canadien, les conditions relatives au pergélisol n’ont pas fait l’objet d’études avant la construction. La couche supérieure du pergélisol, appelée couche active, fond durant l’été et la profondeur du dégel dépend de la chaleur des températures en été. Lorsque la profondeur du dégel atteint le pergélisol riche en glace, la surface de la piste se tasse ou craque, nécessitant ainsi des réparations importantes. Les températures saisonnières de plus en plus chaudes provoquent l’approfondissement de la couche active et le dégel de la glace souterraine, ce qui donne plus de fil à retordre aux gestionnaires de l’aéroport. Afin d’aborder les lacunes en matière de connaissances à l’aéroport international d’Iqaluit, des scientifiques ont mené des recherches géoscientifiques des conditions du pergélisol à l’aéroport, de la sensibilité du pergélisol au tassement dû au dégel et des processus physiques qui jouent un rôle dans la dégradation du pergélisol. La recherche a permis de produire une méthodologie d’analyse quantitative des risques utilisant des géostatistiques, des méthodes d’analyse de la fiabilité et de l’information sur les coûts pour étudier le tassement dû au dégel et les risques de formation d’arc-boutement du sol dans le remblai.

Comprendre et évaluer les impacts

Les conditions du pergélisol ont été caractérisées en détail entre 2010 et 2018 en préparation pour des rénovations majeures et des travaux d’amélioration en 2018-2019 à l’aéroport. Les profils de températures sous les pavés en asphalte révèlent un sol plus chaud et une pénétration du dégel plus rapide, plus profonde et plus longue, comparativement à ce qui a été observé pour les accotements et le terrain naturel, provoquant un tassement accru sous les surfaces d’asphalte et les surfaces adjacentes. Les données géoscientifiques nouvellement acquises sur le pergélisol de l’aéroport ont orienté les analyses de risques et la conception d’ingénierie mises en œuvre lors des récents travaux d’amélioration afin de développer une infrastructure moderne qui est mieux adaptée aux impacts liés au réchauffement climatique. Cette information a été intégrée à une analyse coûts-avantages, qui a été présentée dans le cadre de l’évaluation quantitative élargie des risques. L’évaluation des risques désigne généralement la combinaison, par multiplication, de trois facteurs visant un seul risque : le risque, la conséquence et la vulnérabilité. Dans le contexte d’une évaluation quantitative des risques, la description est une équation d’état limite, qui offre une définition de la défaillance, pour l’état ultime ou l’état de viabilité. La probabilité de dépasser cette limite de défaillance constitue le risque. La conséquence représente le coût pour réparer les dommages à l’infrastructure et, possiblement, les effets indirects des dommages pour les communautés. Enfin, la vulnérabilité désigne le degré selon lequel l’infrastructure est touchée. L’information sur les coûts directs provient des données du rapport sur la valeur acquise et des calculs de la zone de construction sur les plans. Les facteurs d’impacts humains et sociétaux ont été déterminés à l’aide de grilles d’évaluation et de discussions avec des parties prenantes.

Déterminer les actions

Afin de combler les lacunes en matière de connaissances à l’aéroport international d’Iqaluit, des scientifiques ont mené des recherches géoscientifiques des conditions du pergélisol à l’aéroport, de la sensibilité du pergélisol au tassement dû au dégel et des processus physiques qui jouent un rôle dans la dégradation du pergélisol. Ils ont utilisé un éventail de données géoscientifiques pour évaluer les conditions, notamment une cartographie des sédiments écologiques et superficiels. Une détection à distance du tassement dans le sol a aussi été utilisée pour cerner les risques potentiels. Ces initiatives ont été appuyées par des validations sur le terrain, des relevés géophysiques et des mesures du pergélisol. Les facteurs de risque ainsi que les coûts directs et indirects ont été établis à partir des données disponibles sur le site, des documents du projet (plans, rapports de valeur acquise, entente de projet) et des entrevues avec les parties prenantes. L’analyse des risques s’est fondée sur une simulation Monte Carlo et des calculs d’ingénierie standards du pergélisol pour déterminer le tassement dû au dégel à l’aide d’une analyse stochastique. Les facteurs d’impacts humains et sociétaux ont été déterminés à l’aide de grilles d’évaluation et de discussions avec des parties prenantes. Le gouvernement du Nunavut et ses partenaires ont tenu compte des résultats découlant des études dans leurs décisions, qui contribueront à prolonger la vie d’une partie essentielle des infrastructures nordiques.

Mise en oeuvre

Les mesures prises dans le cadre de l’évaluation des risques à l’aéroport d’Iqaluit comprennent les suivantes :

  1. Une méthodologie d’évaluation quantitative des risques utilisant des méthodes d’analyse géostatistique et de fiabilité et de l’information sur les coûts pour analyser le tassement dû au dégel et les risques de formation d’arc-boutement du sol dans le remblai;
  2. Une évaluation de la fragilité pour déterminer les changements touchant ces risques en raison de la température annuelle moyenne de l’air (TAMA) changeante; et
  3. Une analyse coûts-avantages pour une section de remblai isolée selon les résultats de l’analyse de la fragilité, les limites de défaillance et les cycles antérieurs de réparation.

De plus, des données provenant de l’interprétation de photos aériennes, de recherches dans les archives, d’information géophysique, d’activités de forage et de carottage, de la surveillance des températures du sol et de la modélisation numérique ont été intégrées dans une application de SIG et utilisées pour étudier la région. Un radar servant au sondage du sol a été utilisé pour délimiter les unités cryostratigraphiques et pour localiser des caractéristiques sous les remblais, surtout des craquements et des coins de glace. Des analyses en laboratoire sur des modèles de coins de glace ont permis d’établir le risque associé à la formation d’arc-boutement afin de corréler la probabilité d’occurrence de ce risque. Les risques ont ensuite été calculés. Il a été déterminé selon ces calculs que le tassement dû au dégel pour les coins de glace glaciomarine et les milieux géologiques lacustres ainsi que la formation d’arc-boutement dans le sol constituait le risque le plus élevé. Le processus d’évaluation des risques comprend cinq étapes : 1) identification; 2) description des risques (processus entraînant un dommage); 3) calcul des risques et des conséquences; 4) évaluation des risques et 5) traitement des risques. L’évaluation des risques désigne généralement la combinaison, par multiplication, de trois facteurs visant un seul risque : le risque, la conséquence et la vulnérabilité. Dans le contexte d’une évaluation quantitative des risques, la description est une équation d’état limite, qui offre une définition de la défaillance, pour l’état ultime ou l’état de viabilité. La probabilité de dépasser cette limite de défaillance constitue le risque. La conséquence représente le coût pour réparer les dommages à l’infrastructure et, possiblement, les effets indirects des dommages pour les communautés. Enfin, la vulnérabilité désigne le degré selon lequel l’infrastructure est touchée.

Résultats et suivi des progrès

Les risques établis visaient à mettre en lumière les régions de l’aéroport YFB qui méritaient une attention particulière de la part d’Arctic Limited Partnership, de Transports Canada et de la direction de l’aéroport YFB. Les activités de recherche ont permis de cerner des zones locales et régionales de tassement de sol, et elles ont mis en relation ces observations avec le pergélisol et les processus hydrologiques ayant conduit à l’abandon d’une voie de circulation problématique existante. Les risques et la fragilité climatiques ont été évalués pour cinq cas de tassement dû au dégel et le risque de formation d’arc-boutement au-dessus des vides de remblai. Les résultats associés aux risques et aux dangers étaient bien corrélés avec les observations historiques signalées de la dégradation du pergélisol lorsqu’un critère de viabilité de tassement de 3,5 cm était utilisé. Les cas ayant obtenu les scores les plus élevés en matière de risques pour le tassement dû au dégel se trouvaient à des emplacements de coins de glace dans les sédiments glaciomarins et lacustres, où des fissures superficielles, un tassement et de l’infiltration d’eau souterraine ont été observés. L’ajout de l’isolation de la section de remblai de l’infrastructure a considérablement réduit les risques de tassement dû au dégel, comparativement à d’autres cas analysés. L’analyse de la fragilité climatique, utilisant une augmentation de la température de 2,5 °C au cours de la période située entre 2010 et 2050, a indiqué la présence d’un risque croissant ou constant pour les cinq cas d’analyse de tassement dû au dégel. Les résultats cumulatifs de tassement dû au dégel provenant de cette analyse ont été utilisés pour déterminer les cycles de réparations nécessaires après avoir dépassé le critère de dérivation de 3,5 cm. Les coûts actuels pour les cinq cas de tassement dû au dégel ont reproduit l’ordre des risques, du plus élevé au plus faible, avec les coins de glace non isolés dans les sédiments glaciomarins et les sédiments lacustres représentant le risque le plus élevé tout au long de la période d’analyse. L’analyse de coûts actuelle a permis de déterminer que les coûts pour un coin de glace non isolée dans des sédiments glaciomarins se situaient entre 19 et 36 % des coûts actuels pour les quatre autres cas analysés, faisant de l’ajout d’isolation dans la section de remblai de l’infrastructure une mesure efficace et rentable. Toutefois, la méthode d’atténuation de résistance thermique accrue (section de remblai plus épais ou isolation) ne peut que retarder, et non prévenir, la dégradation du pergélisol.

Ressources