Adaptation des pratiques sylvicoles au changement climatique

En 2023, la Direction de la recherche forestière du ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec a initié des projets de recherche visant à tester différentes stratégies sylvicoles d’adaptation dans trois régions du Québec. Les projets ont pour but d’étudier le risque croissant de sécheresse, les saisons de croissance plus longues, l’augmentation des températures moyennes, l’augmentation des évènements de gel-dégel et les changements dans les débits de pointe dans l’ensemble du secteur forestier du Québec. La forêt du Québec est considérée comme un écosystème important pour son impact économique dans la province et parce qu’elle fournit un habitat à de nombreuses espèces animales. La province est divisée en deux grandes régions climatiques : tempérée, qui comprend des arbres mixtes et à feuilles larges, et une zone boréale composée principalement d’épinettes noires, de pin gris et de sapins baumiers. La plupart des forêts du Québec sont publiques (91 %). La forêt constitue également un secteur industriel important, fournissant environ 60 000 emplois, dont la moitié dans le secteur des produits du bois et un tiers dans l’industrie du papier. La sylviculture est l’art et la science de contrôler l’établissement, la croissance, la composition, la santé et la qualité des forêts et des boisés pour répondre aux divers besoins et valeurs des propriétaires fonciers et de la société sur une base durable.Grâce à un financement dans le cadre du Plan pour une économie verte 2030 du gouvernement du Québec, la Direction de la recherche forestière a lancé trois projets qui suivent le cadre de résistance, de résilience et de transition, couramment utilisé dans les travaux d’adaptation forestière. Le volet Résistance du projet, axé sur la région de l’Outaouais, vise à accroître la résistance des plantations d’épinettes blanches et de pins gris au stress hydrique dans le contexte des changements climatiques. Le volet Résilience du projet, axé sur la région de Chibougamau, étudie l’utilisation de plantations en mélange afin de réduire le risque de perte des investissements sylvicoles dans les régions à risque élevé d’incendie de la forêt boréale. Enfin, le volet Transition du projet, axé sur la région de la Gaspésie, explore la gestion de la composition des essences par la plantation d’enrichissement et la plantation d’espèces mixtes par migration assistée à la suite de récoltes partielles. Le secteur forestier est reconnu comme étant un acteur de l’atténuation par sa contribution à la séquestration du carbone dans les écosystèmes forestiers, dans les produits du bois et en utilisant les produits du bois pour remplacer les produits ayant une empreinte carbone plus élevée. La capacité du secteur forestier à contribuer à l’atténuation sera touchée par les changements climatiques eux-mêmes. Il est donc urgent d’adapter des pratiques forestières qui assureront la cohérence avec les mesures d’atténuation mises en œuvre. Sans adaptation, les mesures d’atténuation ne réussiront pas, car elles sont interconnectées. Les résultats de ces projets permettront d’orienter les types d’interventions sylvicoles utilisées dans la pratique qui sont liés aux caractéristiques de la forêt et contribueront à assurer sa pérennité au bénéfice de tous les Québécois.

Comprendre et évaluer les impacts

Les impacts des changements climatiques sur l’écosystème forestier sont variés et le Québec observe déjà des changements sous forme de hausse des températures qui affectent la répartition et la santé des espèces d’arbres, une augmentation des précipitations entraînant l’érosion du sol et des inondations, des sécheresses causant du stress et des dommages aux arbres, des incendies de forêt plus fréquents et plus graves en raison de périodes de sécheresse prolongées, l’augmentation des températures et des événements de gel-dégel plus fréquents. La région de l’Outaouais, qui comprend des régions de la forêt boréale, subit plus de sécheresses au printemps et à l’automne, ce qui entraîne un risque accru pour les arbres. Afin d’identifier les risques climatiques pour chaque région, une équipe d’experts du ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec a effectué une évaluation de la vulnérabilité, qui combinait des modèles de données climatiques et des modèles d’habitat, et a été appuyée par une revue de la littérature. En collaboration avec Ouranos, l’équipe a utilisé les données de Portraits Climatiques – un portail régional d’information liée au climat qui offre des informations spatialisées à travers le Québec pour visualiser les normales climatiques, les observations historiques et les changements projetés par les modèles climatiques. Le portail utilise les phases 5 et 6 du projet de simulations (CMIP5/CMIP6) pour la période de 2050, selon les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre RCP 4.5 et RCP 8.5. Les résultats de l’évaluation de la vulnérabilité ont montré que pour la période de 2050, il pourrait y avoir un risque accru de sécheresse, une saison de croissance plus longue, une température moyenne supérieure, plus d’épisodes de gel-dégel et une augmentation des débits de pointe. Ces changements peuvent avoir une incidence sur la productivité des forêts, la composition des peuplements, la superficie brûlée par les feux de forêt, la fréquence des accidents de régénération, la durée et la gravité des infestations d’insectes, l’émergence et la propagation d’espèces exotiques envahissantes et l’accès aux terres (intégrité de l’infrastructure et des routes polyvalentes). On s’attend à ce que les températures maximales augmentent, tandis que les précipitations resteront probablement les mêmes. L’augmentation prévue du nombre de vagues de chaleur aura un effet significatif sur les espèces d’eau et d’arbres. On s’attend à ce que même des changements climatiques modestes entraînent des transitions majeures dans les forêts boréales.

Déterminer les actions

Le programme de recherche implique une collaboration avec divers partenaires et intervenants (Université de Montréal, Université du Québec à Chicoutimi, Université du Québec à Rimouski, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et le ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec) et est guidé par les principes d’amélioration de la résilience des forêts, de gestion des risques climatiques et d’adaptation des pratiques sylvicoles à l’évolution de l’environnement. Le projet suit le cadre de Résistance, Résilience et de Transition, utilisé dans les travaux d’adaptation dans le domaine de la sylviculture. Il s’agit d’un portefeuille d’options d’adaptation utilisé par les aménagistes forestiers pour maintenir les objectifs de gestion, en particulier pour favoriser la persistance de l’écosystème et pour gérer le changement. « Résistance » fait référence à l’augmentation des défenses des écosystèmes contre le changement pour garder l’écosystème intact et pour défendre l’écosystème contre les perturbations, ou pour donner plus de temps à l’écosystème pour s’adapter. « Résilience » est la capacité de l’écosystème à tolérer les perturbations et à revenir à un état similaire. « Transition » est une option d’adaptation qui vise à faciliter la modification de l’écosystème en manipulant la composition spécifique pour mieux adapter l’écosystème au nouveau climat. En 2020, des ateliers ont été organisés dans trois régions pilotes afin d’évaluer les risques liés au changement climatique, notamment dans les régions forestières de la Gaspésie-Îles de la Madeleine, du Nord-du-Québec et de l’Outaouais. Ces ateliers ont réuni des chercheurs de la Direction de la recherche forestière du ministère des Ressources naturelles et des Forêts, des ingénieurs forestiers et des biologistes issus de diverses directions du MRNF à Québec, ainsi que des professionnels forestiers présents dans chaque région pilote. Chaque atelier a débuté par une présentation des chercheurs et des professionnels forestiers des régions du Québec sur les divers risques associés au changement climatique. Ensuite, les professionnels forestiers des régions pilotes ont dressé un portrait des scénarios sylvicoles actuellement utilisés dans leur région respective. Enfin, une discussion avec tous les participants a été menée pour identifier quels scénarios sylvicoles étaient exposés aux risques et quelles étaient les options pour faire face au changement climatique. Le résultat de ces ateliers est le programme de recherche qui fut mis en place en 2022.

Mise en œuvre

À l’aide des résultats de l’évaluation de la vulnérabilité et des ateliers des intervenants, l’équipe de recherche a conçu un programme de recherche pour chacune des trois régions et mettra à l’essai une option d’adaptation par région. La première initiative vise à accroître la résistance dans la région de l’Outaouais, située près d’Ottawa. Ce projet met en œuvre des pratiques d’éclaircies commerciales visant à renforcer la résilience au stress hydrique dans les plantations forestières, en particulier dans le contexte du changement climatique. L’objectif principal est d’évaluer l’efficacité de diverses intensités d’éclaircie pour atténuer le stress hydrique chez les arbres de plantation confrontés à des conditions de sécheresse. Deux espèces seront testés soit l’épinette blanche et le pin gris. L’épinette blanche est une des principales espèces d’arbre plantée au Québec, et ce projet représente une étape importante dans la recherche sur l’amélioration génétique. Le deuxième projet, connu sous le nom d’Initiative de résilience, est situé près de Chibougamau dans la vaste forêt boréale, située dans la partie nord de la province. Ce projet explore le concept de l’utilisation des plantations en mélange comme outil pour réduire la probabilité de perdre des investissements sylvicoles, en particulier dans les régions à risque élevé d’incendie. Une étudiante au doctorat de l’Italie a débuté ces études doctorales en 2023 sur ce projet. Les sites expérimentaux on fait l’objet d’une récolte en 2022. Au début, on souhaitait mener des expériences dans d’anciennes zones touchées par les feux de forêt, mais ces endroits n’étaient pas facilement disponibles. Cependant, l’occasion s’est présentée lorsque les forêts ont connu des feux de forêt à l’été 2023. À la suite de ces évènements, la décision a été prise de mener l’expérience dans ces sites récemment brûlés. Le projet de recherche examinera les réponses physiologiques des deux espèces d’arbres impliquées. Au cours de la première année, ils s’attendent à ce que les nutriments se lavent dans le sol. La recherche examinera comment les deux types d’arbres impliqués réagissent à l’affouillement. L’expérience mettra à l’essai la combinaison du pin gris et de l’épinette noire, aux côtés du mélèze laricin, une espèce d’arbre connue pour sa croissance rapide. Fait intéressant, les feux de forêt ont par inadvertance profité à cette expérience, luminant les capacités de régénération de la forêt. Le troisième projet, basé en Gaspésie, se concentre sur le thème critique de « Transition ». Il traitera de la gestion de la composition des essences dans les plantations et les peuplements naturels en utilisant des stratégies de plantation d’enrichissement et de plantation d’espèces mixtes. Ces approches, réalisées dans le cadre d’une migration assistée, suivront des récoltes partielles. Ce projet aux multiples facettes comprend trois expériences distinctes. La première expérience est centrée sur la migration facilitée du chêne rouge, en mettant l’accent sur l’essai rigoureux de diverses sources de graines. La mise en œuvre est prévue pour 2025, et cet effort est mené en étroite collaboration avec le CERFO, soulignant son importance académique et pratique. Une demande de subvention du CRSNG (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada) a également été présentée pour appuyer cette initiative. Le deuxième aspect du projet concerne la plantation d’enrichissement. Il s’agit d’introduire une aire de répartition soigneusement sélectionnée de trois à quatre espèces de feuillus et de cinq espèces de conifères dans les sites désignés. Parallèlement, des plantations en mélanges seront testées, bien que les espèces spécifiques à inclure seront déterminées à un stade ultérieur. La préparation du site devrait commencer en 2024, et les activités de plantation sont prévues pour 2025. Cette approche dynamique fournira des renseignements précieux sur la façon dont les écosystèmes forestiers réagissent à l’augmentation de la diversité des espèces. La troisième expérience de ce projet porte sur l’essai de plantations en mélange à la suite d’une coupe totale, à l’aide d’espèces de feuillus et de conifères. Cette initiative de mise à l’essai vise à valider les modèles prédisant la migration vers le nord des espèces en réponse aux conditions climatiques changeantes. Le projet vise à combler l’écart entre les modèles théoriques et les résultats du monde réel, contribuant ainsi à une meilleure compréhension de la dynamique des écosystèmes forestiers face au changement climatique.

Résultats et suivi des progrès

Les projets sont tous en cours et les travaux sylvicoles ont débutés dans tous les dispositifs grâce à la collaboration du Secteur des opérations régionales du MRNF. Deux projets bénéficieront d’une assistance supplémentaire de la part d’étudiants doctorants au cours des prochaines saisons d’automne et d’hiver (2023/2024). Le principal enjeu relié aux dispositifs est au niveau de la production des plants, certaines essences étant difficiles à produire, faute de semences, causée par des événements météorologiques extrêmes. En 2022, 11,5 millions de plants d’arbres, destinés aux pépinières du Québec, aux entreprises de sylvicoles et aux initiatives de recherche, ont été détruits. Selon le MRNF, une écrasante majorité de 83 pour cent de ces pertes ont été attribuées à des conditions météorologiques sévères. Des facteurs tels que les premiers gels d’automne, un enneigement insuffisant, des périodes hivernales douces, ou des gels tardifs au printemps peuvent causer des dommages importants aux plantes. Malgré ces défis, la Direction générale de production de semences et de plants forestiers du MRNF collaborent activement avec l’équipe de recherche pour être certain que les plants seront disponibles lors de la mise en place des plantations. En ce qui concerne le suivi des progrès, des rapports réguliers sont soumis au Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP), qui fournit un soutien financier via le « Plan pour une économie verte 2030 » jusqu’en 2027. Les trois projets ont reçu un total combiné de 2,5 millions de dollars sur cinq ans , avec l’espoir d’un renouvellement du fonds par la suite. Le financement a joué un rôle important dans la conception du projet. Sans cela, l’ampleur des projets aurait été plus petite et aurait cherché à obtenir des fonds d’autres sources.

Prochaines étapes

Le responsable du projet a l’intention d’étendre éventuellement les projets à d’autres régions du Québec. Les prochaines étapes comprennent la planification de la plantation l’année prochaine et l’établissement d’un plan de surveillance à long terme qui s’étend sur plus de deux décennies. Cette surveillance approfondie fournira des informations précieuses sur les résultats à long terme du projet et la réponse de la forêt aux plantations d’espèces mixtes dans les zones sujettes aux incendies. L’équipe du projet élabore actuellement une proposition de projet distincte qui mettra l’accent sur la gestion des limites des villes pour les coupe-feux, en particulier compte tenu des récents feux de forêt. Diverses expériences dans différentes villes sont prévues qui testent des peupliers hybrides comme alternative à la coupe à blanc pour protéger les écosystèmes existants.

Ressources

Lien vers l’étude de cas complète 

Ressources supplémentaires :