Une évaluation sociosanitaire des inondations 2019 : Optimiser les services de santé et l'intervention psychosociale post-désastre visant la résilience des collectivités aux extrêmes hydrométéorologiques.

En 2019-2020, un regroupement de trois universités québécoises, trois Directions régionales de santé publique (DRSP) et l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) ont étudié l’impact psychosocial des inondations de 2017 et 2019 dans le sud du Québec.

L’objectif principal du projet est de tirer des leçons des méthodes actuelles d’intervention lors d’inondations dans la province, dans le but d’adopter de meilleures pratiques pour la protection de la santé physique et psychologique des victimes d’inondations et des professionnels qui leur viennent en aide. Ce projet d’étude était structuré autour de deux volets. Le premier volet est une étude quantitative longitudinale (sondage) visant à examiner les conséquences des inondations sur la santé et le bien-être des individus exposé à travers à deux enquêtes de santé populationnelle réalisées à un an d’écart. Le deuxième volet prenait quant à lui la forme d’une étude qualitative visant à déterminer les stratégies d’intervention sociosanitaire les plus efficace en contexte d’inondations suite à des groupes de discussions sur l’expérience d’intervenants de santé et municipaux.

Comprendre et évaluer les impacts

L’un des effets des changements climatiques au Québec est une plus grande variabilité dans le régime de précipitations, ainsi que des changements dans les fontes printanières. Cette situation risque d’augmenter la fréquence et l’amplitude des inondations sur le territoire. De nombreuses communautés subiront donc davantage d’impacts sur leur environnement, leurs finances, sur la santé physique et psychologique de leur population ainsi que sur la cohésion communautaire lors de montée des eaux. Par exemple, les problèmes respiratoires liés à l’exposition aux moisissures, ainsi que les troubles de l’humeur ou d’anxiété, les manifestations de stress post-traumatique et les abus de substances sont des conséquences fréquentes dans les mois et années suivants des inondations. Cependant, il est établi que plusieurs facteurs améliorent la résilience communautaire et constituent un facteur de protection contre les problèmes de santé. De plus, au Québec, lorsque survient un sinistre majeur, un nombre important d’intervenants de première ligne (ex. pompiers, policiers, ambulanciers), et de deuxième ligne (ex. travailleurs sociaux, psychologues) sont mobilisés pendant un laps de temps pouvant varier de quelques jours à plusieurs mois. Ces intervenants doivent soutenir les victimes et les membres de leur famille tout en dépistant les personnes souffrant, ou à risque de souffrir, de problèmes de santé mentale. Bien que pouvant se baser une variété de recherches internationales pour orienter leurs interventions, les chercheurs et praticiens du Québec disposent de peu de données locales pour mieux comprendre et les impacts à long terme des inondations sur les populations affectées.

C’est ainsi qu’en faisant du suivi auprès d’individus affectés par les inondations dans la région montréalaise en 2017, des médecins en santé publique ont noté le besoin de mieux mesurer et comprendre les impacts des inondations locales sur la santé psychologique afin d’ajuster les protocoles d’intervention et les programmes d’assistance aux sinistrés, tout en tenant compte du contexte local.

Déterminer les actions

En 2019, une première version de l’étude a été élaborée et déposée auprès du Fonds vert pour financement. Cependant, une série d’inondations printanières sévères a eu lieu travers la province alors que le projet était encore en évaluation. Les chercheurs ont donc saisi l’opportunité pour appliquer ce protocole de recherche auprès des populations sinistrées et des intervenants de terrain.

Le but de la recherche était de dégager des leçons en ce qui a trait : 1. aux conséquences de ce type de catastrophe sur la santé physique et psychologique des populations, 2. aux facteurs de risque et de protection qui y sont associés, 3. et aux stratégies d’intervention sociosanitaire à encourager.

Le projet était structuré autour de deux volets; soit un volet quantitatif composé d’une étude longitudinale basée sur des sondages recoupés avec des informations hydrométéorologiques, ainsi qu’un volet qualitatif basé sur des entretiens de groupe avec des intervenants lors des deux séries d’inondations.

Du côté de la population sinistrée (volet quantitatif), l’étude avait pour objectif de 1) Décrire les populations affectées par les inondations selon les différents types d’exposition 2) Documenter les conséquences des inondations à moyen et long termes sur la santé physique et psychologique selon les différents types d’exposition; 3) Identifier les facteurs de risque et de protection des problèmes de santé associés aux inondations sur la santé physique et psychologique; 4) Déterminer les stratégies d’intervention sociosanitaire en contexte d’extrêmes hydrométéorologiques les plus efficaces pour soutenir la résilience, en évaluant les interventions dans les régions touchées par les inondations de 2019 et leurs impacts.

Quant aux intervenants (volet qualitatif), l’étude avait pour objectif de dégager à travers des discussions de groupe les interventions qui semblaient avoir été efficaces pour soutenir la résilience des individus lors des dimensions de « prévention », « d’intervention », et de « rétablissement » des différents sinistres.

Ultimement, les résultats combinés des deux volets devraient permettre de développer des plans et des processus d’interventions permettant de réduire l’impact social des inondations futures, d’intervenir plus rapidement et de favoriser la résilience des individus et des collectivités.

Mise en oeuvre

Grâce au financement en provenance du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques, puis d’un financement additionnel du Réseau intersectoriel des inondations du Québec (RIISQ), l’Université de Sherbrooke a pu coordonner des travaux menés en collaboration avec deux autres équipes de recherche universitaires (Université du Québec à Montréal et Université du Québec à Chicoutimi), trois Directions régionales de santé publique ainsi que INSPQ.

Le projet a été structuré autour de deux volets; le premier volet prenait la forme d’une étude quantitative longitudinale (sondage) visant à examiner les conséquences des inondations sur la santé et le bien-être des individus exposés à travers à deux enquêtes de santé populationnelle réalisées à un an d’écart. Cette étude devait aussi être complémentée d’un bilan hydrométéorologique afin de mieux documenter l’exposition aux inondations. Le deuxième volet prenait quant à lui la forme d’une étude qualitative visant à déterminer les stratégies d’intervention sociosanitaire les plus efficaces en contexte d’inondations suite à la tenue de groupes de discussion sur l’expérience d’intervenants du secteur de la santé et du monde municipal.

Au niveau qualitatif, d’octobre à novembre 2019, 19 groupes de discussion et une entrevue individuelle ont été menés auprès de divers acteurs impliqués dans l’intervention sociosanitaire post-inondations 2019 en provenance de quatre des six régions ciblées. Les participants étaient des coordonnateurs et de responsables des mesures d’urgence du volet psychosocial au sein des centres intégrés de santé et de services sociaux et des centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CISSS/CIUSSS), de responsables de sécurité civile, d’intervenants psychosociaux des CISSS et des CIUSSS, d’organismes communautaires et d’employés municipaux. Ceux-ci devaient avoir participé à des interventions à au moins une des différentes étapes de la gestion de catastrophe, soit la préparation, l’intervention et le rétablissement. Les participants et la composition des groupes ont été choisis en fonction du rôle, du niveau d’expérience ainsi que d’autres critères particuliers (par ex. rural vs urbain) afin d’avoir une représentativité adéquate.

Quant aux données sur les populations affectées (volet quantitatif), 11 500 lettres ont été envoyées aléatoirement en décembre 2019 à des citoyens demeurant dans des zones inondées lors du printemps précédent afin de les informer de la recherche et les inviter à y participer en répondant à une enquête en ligne. Six régions sociosanitaires affectées ont été ciblées : Laval, Laurentides, Mauricie-et-Centre-du-Québec, Montérégie, Montréal et Outaouais. Les administrations municipales de ces régions ont aussi été informées des démarches de recherche en cours sur leurs territoires. Par la suite, certains ménages n’ayant pas rempli le questionnaire en ligne ont été contactés aléatoirement par téléphone par une firme de sondages afin d’atteindre un minimum de 3000 participants au total. Les listes de potentiels participants ont été établies à partir des listes de résidents classés comme victimes d’inondation par le ministère de la Sécurité publique dans les codes postaux ciblés par l’étude. Le taux de réponse aux deux cycles de sondage a été relativement faible, mais cela était attendu puisque les individus en situation post-désastre ont peu de temps et d’énergie à accorder à ce type d’initiatives.

Le sondage était structuré autour de quatre blocs d’informations ; le premier bloc portait sur l’état de santé physique global des individus et de son évolution depuis les inondations, le deuxième portait sur l’état de santé psychologique, le troisième sur le niveau d’exposition à l’inondation (non affecté, perturbé, inondé) et, finalement, le quatrième portait sur les ressources individuelles et collectives (assurances, support familial, etc.).

Résultats et suivi des progrès

Les résultats du volet qualitatif démontrent des expériences très variées selon les informations dégagées par les groupes de discussion. Alors que certains intervenants avaient été peu affectés psychologiquement et considéraient avoir été mis dans une situation bien gérée et contrôlée, d’autres ont vécu beaucoup de stress et considéraient leur organisation mal préparée. Cependant, la plupart se sont accordés sur un plus grand niveau de difficulté lors des inondations de 2019 en raison de l’ampleur du territoire touché ainsi que leur durée. Paradoxalement, celles-ci auraient touché moins de citoyens, car plusieurs secteurs inondés avaient vu des démolitions de résidences suite aux inondations de 2017. Par ailleurs, en plus de ces deux séries d’inondations rapprochées, certains territoires avaient aussi subi des événements de vents violents et même une tornade. Cette récurrence de catastrophes a eu à la fois des impacts positifs (expérience des équipes) et négatifs (fatigue de la population et des intervenants, limites financières, etc.) sur les processus d’intervention et les professionels concernés. Par ailleurs dans plusieurs régions les diverses catastrophes sont survenues dans les mêmes zones économiquement vulnérables, où parfois les victimes se rétablissaient toujours des inondations précédentes.

Plusieurs leçons pour une meilleure gestion de ces événements se sont dégagées, dont la pertinence de complémenter les services d’aide conventionnels, par exemple les visites à domicile par les pompiers ou policiers, avec la présence d’intervenants psychosociaux. Un autre exemple, celui-ci tiré des inondations de 2017, serait de ne pas imposer l’ordonnance d’évacuations résidentielles, et ce, même si l’état d’urgence local a été déclaré. Il est de loin plus efficace de « fortement » proposer ou insister sur la nécessité de le faire, le tout sur une base volontaire. Ainsi, une approche plus humaine et collaborative plutôt que coercitive a été proposée par les participants des groupes de discussion. Dans le même ordre d’idée, il est ressorti que les employés municipaux doivent accepter l’importance que les personnes accordent à leur résidence, et de respecter leur choix de ne pas les évacuer. Ainsi, les rencontres de groupe ont été une occasion de réaliser un retour d’apprentissages, ainsi qu’une opportunité de renforcer les collaborations lors de la gestion de catastrophes.

Au niveau du volet quantitatif, l’étude démontre entre autres que les personnes inondées sont quatre à cinq fois plus probables que les personnes non affectées de présenter un trouble de santé mentale. Cette réponse psychologique est grandement influencée par l’exposition à des stresseurs primaires (ex. : la hauteur des eaux dans l’habitation et l’ampleur des pertes matérielles), mais aussi à des stresseurs secondaires (ex. : insuffisance de l’aide reçue, difficultés financières, persistance des dommages matériels dans le temps). De plus, les personnes inondées sont significativement plus nombreuses à rapporter des problèmes de santé physique, en particulier au niveau respiratoire. Ainsi, elles rapportent presque trois fois plus de symptômes respiratoires, et davantage de diagnostics de rhinite et d’asthme que celles qui ne sont pas affectées.

Il n’a cependant pas été possible de recouper adéquatement les résultats de la première partie de l’étude longitudinale avec le bilan hydrométéorologique comme initialement prévu en raison de la pandémie de coronavirus. Étant affiliés à différentes autorités de santé publique, les membres de l’équipe de recherche ont dû déplacer leurs efforts sur d’autres tâches, ce qui a retardé et compliqué la collecte de données. De plus, la technologie choisie initialement s’est révélée ne pas être optimale pour collecter les données nécessaires pour cette étude spécifique et bâtir efficacement les cartes souhaitées. L’équipe de recherche considère qu’une autre stratégie devrait être adoptée si l’étude comporte de nouvelles phases ou si celle-ci est répliquée ailleurs.

Finalement, l’un des éléments particuliers ressortant des données collectées dans les deux volets est la surreprésentation de la petite municipalité de Sainte-Marthe-sur-le-Lac dans l’échantillon. Les sinistrés de cette ville semblent ont été plus enclins à répondre, en plus d’avoir un niveau de gravité des impacts subits nettement plus élevé que la moyenne des autres régions sinistrées (valeur des pertes financières, durée de la relocalisation, etc.). Cette inondation avait la caractéristique distinctive d’avoir été causée à la fois par un phénomène naturel (inondations printanières) mais aussi une défaillance technologique (bris d’une digue).

Prochaine(s) étape(s)

La prochaine étape à compléter pour boucler le cycle de projet est la finalisation de l’analyse des données de l’étude quantitative portant sur les populations. En raison du retard causé par la pandémie de Covid-19 ainsi que les problèmes de collecte de données hydrométéorologique, les résultats tardent à être publiés et partagés. Les résultats du volet portant sur les intervenants sont publiés dans un rapport et une fiche-résumé et la publication d’un livre est prévue à l’automne 2022. Il est prévu que deux articles scientifiques sur le projet et ses différents volets soient publiés au cours des prochaines années.

Au-delà des publications scientifiques, les équipes de recherche souhaitent avant tout diffuser leurs résultats auprès du monde municipal et des spécialistes en interventions d’urgence afin de mieux préparer les réponses à de futures inondations. Cette diffusion a déjà commencé sous forme de présentations virtuelles sur invitation de certaines municipalités et de fiches synthèses. Le RIISQ et diverses directions de santé publique ont commencé à diffuser de l’information sur cette recherche, mais comme l’analyse des résultats n’est pas entièrement finalisée, les responsables de la recherche attendent avant d’établir des formations plus structurées. L’équipe de recherche souhaite aussi rédiger un rapport de recherche abrégé qui pourra aisément être partagé auprès de municipalités et servirait de guide d’accompagnement pour une meilleure gestion des sinistres.

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