Les zones humides peuvent aussi être des infrastructures

En 2021, l’Institut climatique du Canada, en collaboration avec le Smart Property Institute, a publié une étude de cas explorant la valeur des zones humides comme type d’infrastructure naturelle en milieu urbain. Les représentants de l’institut ont utilisé les inondations de 2013 dans le sud de l’Alberta, qui ont causé des dommages considérables dans la ville de Calgary, comme exemple de la manière dont les stratégies visant les zones humides ont été mises en œuvre en réponse à la gestion des inondations. L’étude de cas fournit une définition claire des zones humides avant de souligner leurs multiples avantages, notamment la filtration d’eau, l’atténuation des inondations, les loisirs et le tourisme. Par la suite, la valeur monétaire des services fournis par les zones humides a été étudiée et comparée à celle des infrastructures dures classiques. Cette comparaison montre des coûts semblables entre les deux options, accompagnée d’avantages supplémentaires connexes provenant de la mise en œuvre des infrastructures naturelles (comme la séquestration du carbone et l’établissement d’habitats). Les auteurs ont ensuite tenu compte des stratégies d’atténuation des inondations dans la ville de Calgary à la suite des inondations coûteuses survenues en juin 2013. La province de l’Alberta et la Ville de Calgary ont pris plusieurs mesures pour renforcer la protection et la restauration des zones humides au moyen de politiques axées précisément sur les zones humides et de stratégies générales de développement et de résilience qui reconnaissent l’importance de cette infrastructure naturelle. Les auteurs concluent en soulignant un certain nombre d’obstacles et de solutions potentielles pour considérer les zones humides comme des infrastructures et pour bénéficier des services qu’elles peuvent fournir. Les principaux thèmes des obstacles et des solutions envisagés sont liés à une méconnaissance des infrastructures naturelles par les institutions ainsi qu’au financement approprié visant à promouvoir la conservation et la restauration des zones humides.

Comprendre et évaluer les impacts

Ce document a été produit dans le cadre d’une collecte d’études de cas sur les infrastructures naturelles au Canada dans le but d’explorer le potentiel et les obstacles touchant l’accélération de la mise en œuvre d’infrastructures naturelles comme mesure d’adaptation et stratégie de résilience. Les inondations majeures de 2013 à Calgary constituent le principal événement qui a mis en évidence la nécessité d’une série de stratégies de réduction des inondations dans la région. Les inondations ont occasionné le déplacement de milliers de familles, causé des interruptions et la destruction d’entreprises, entraîné des dommages sur des propriétés publiques et privées et causé quatre décès. Les dommages découlant des inondations se sont établis à plus de 5 milliards de dollars partout en Alberta et à environ 400 millions de dollars en dommages aux infrastructures de la ville de Calgary. Fondé sur la cinquième édition du Modèle régional canadien du climat, l’article indique que les changements climatiques augmentent la probabilité de précipitations dans la région, ce qui accroît les risques d’inondation. En même temps, la perte de zones humides demeure un problème persistant dans le bassin de la rivière Bow. Selon le gouvernement provincial, dans les secteurs peuplés de l’Alberta, 64 pour cent des zones humides ont déjà disparu et la région continue de perdre des zones humides à un taux de 0,3 à 0,5 pour cent par année. Dans la ville de Calgary en particulier, les pertes sont de l’ordre de 90 pour cent. La perte de 133 000 ha de zones humides en Alberta au cours des 40 à 60 dernières années a entraîné une perte de capacité de stockage de l’eau d’environ 379 000 000 m3. En réduisant la capacité des terres à stocker l’eau, la perte de zones humides entraîne un débit et des volumes accrus à la suite d’épisodes de pluie, ce qui accroît le risque d’inondation.

Déterminer les actions

À la suite des inondations de 2013, la Ville de Calgary a mis en place le Programme d’atténuation des inondations fluviales pour étudier les problèmes d’atténuation des inondations et les réponses requises. Un groupe indépendant d’experts en matière de gestion a été formé dans le cadre du programme d’atténuation afin de formuler des recommandations pour améliorer la résilience et l’état de préparation de Calgary. Bien que la plupart des 27 recommandations du groupe d’experts soient axées sur des options d’infrastructures techniques pour atténuer les inondations, les participants ont souligné le rôle de la gestion du bassin versant de la rivière Bow pour l’atténuation des petites inondations. À la suite des inondations, des rapports supplémentaires provenant du Programme de résilience et de restauration des bassins versants d’Alberta et de Canards illimités Canada ont souligné la corrélation entre la santé des zones humides et l’atténuation des inondations. Les zones humides réussissent à atténuer ces risques grâce à la création et (ou) à l’amélioration de systèmes naturels, comme les zones humides et les zones riveraines (adjacentes aux rivières et aux cours d’eau) pour améliorer le fonctionnement des bassins versants. L’examen de la multitude d’avantages supplémentaires que procurent les zones humides ainsi que la rentabilité de la stratégie viennent renforcer les arguments en faveur de l’amélioration et de la restauration des zones humides comme stratégie d’atténuation des inondations. Parmi les avantages, mentionnons la filtration d’eau, la séquestration de carbone ainsi que les possibilités de loisirs et de tourisme. De plus, un coût de stockage par unité de 3,5 $ à 6,7 $ par m3 de zones humides restaurées peut stocker l’eau à un coût comparable à celui d’une digue sèche (coût estimé de 1,4 $ à 7 $ par m3), tout en offrant les avantages supplémentaires susmentionnés.

Mise en oeuvre

Depuis 2013, la Ville de Calgary et la province de l’Alberta ont pris d’autres mesures pour améliorer la protection des zones humides là où des politiques provinciales liées aux zones humides étaient déjà en place. D’abord, la nouvelle politique de l’Alberta sur les zones humides, publiée en 2013, est entrée en vigueur dans les régions développées de la province en 2015. L’objectif de la politique de l’Alberta sur les zones humides consiste à les maintenir, de manière à préserver les avantages écologiques, sociaux et économiques qu’elles procurent. Les quatre principes fondamentaux de la politique sont les suivants :

  • Valeur : les zones humides ayant la plus grande valeur sont repérées et protégées en premier.
  • Avantages : les zones humides sont préservées et restaurées.
  • Atténuation : la perte ou la dégradation des zones humides est évitée. Les dommages sont réduits au minimum ou abordés au moyen du remplacement lorsque l’évitement est impossible.
  • Gestion régionale : la gestion des zones humides tient compte du contexte régional.

La nouvelle politique vise à protéger les zones humides de la plus grande valeur à l’aide d’un outil d’évaluation rapide de celles-ci. L’outil d’évaluation des zones humides de l’Alberta facilite l’évaluation des zones humides. Cet outil tient compte de cinq caractéristiques liées à l’abondance, à la valeur humaine, à l’amélioration de la qualité de l’eau, à la biodiversité et à la réduction des inondations. La politique a depuis connu des difficultés liées à la surveillance et à la mise en œuvre, qui seront explorées davantage dans la section intitulée Résultats et progrès en matière de surveillance.

En 2021, les mises à jour du Plan de développement municipal de Calgary ont fait des progrès considérables en mettant l’accent sur le rôle des infrastructures naturelles pour bâtir une ville résiliente. Les infrastructures naturelles et les solutions fondées sur la nature sont également au cœur de la stratégie de résilience climatique de Calgary.

Résultats et suivi des progrès

Lorsque la politique sur les zones humides de l’Alberta est entrée en vigueur en 2015, un certain nombre d’obstacles au succès de la politique a subséquemment été cerné. Par exemple, l’objectif d’atténuation de la politique qui vise à éviter, à réduire au minimum ou à corriger les dommages aux zones humides, ne s’accompagne pas d’un cadre de travail pour documenter et quantifier ces efforts. De plus, pour les promoteurs, il a souvent été plus simple et plus rentable de verser des indemnités pour supprimer les zones humides, au lieu de les préserver. En 2018, la politique a été mise à jour avec une disposition qui prévoyait des subventions afin de financer la restauration privée des zones humides dans l’espoir d’offrir une certaine flexibilité et un accès aux fonds de restauration de zones humides pour les agriculteurs et autres propriétaires de terrains qui font face à des obstacles financiers. En 2020, la politique a été modifiée de nouveau pour inclure un Code de pratique pour la restauration des zones humides avec l’intention de rationaliser les exigences de la politique sur les zones humides afin de relever certains des défis susmentionnés.

L’étude de cas met en évidence un certain nombre d’obstacles généraux qui empêchent de considérer les zones humides comme des infrastructures. D’abord, les solutions d’infrastructure naturelle sont moins courantes et donc moins bien comprises que les infrastructures grises classiques. Cette méconnaissance nécessite la participation d’un plus grand nombre de ministères gouvernementaux et d’experts pour assurer le succès de la mise en œuvre de solutions naturelles, qui prennent plus de temps et qui coûtent plus cher. De plus, la qualité écologique, les attributs et les avantages connexes d’une zone humide doivent être clairement communiqués à une variété d’intervenants et de partenaires, des ingénieurs aux comptables. Pour ce faire, un nombre considérable de ressources et de données obtenues à l’aide de divers outils et de différentes sources est nécessaire. Le besoin inhérent de données spécifiques à l’emplacement vient compliquer davantage cette tâche. De plus, il existe un manque de capacité institutionnelle au Canada pour concevoir un plan et pour planifier et surveiller les infrastructures naturelles dans des milieux municipaux, nécessitant ainsi la coopération entre divers ministères, l’acquisition de nouvelles compétences, etc. Finalement, la majorité du financement pour de tels projets provient de programmes fédéraux d’infrastructure qui s’accompagnent souvent d’exigences de financement difficiles à respecter (comme celles liées à la taille).

Prochaine(s) étape(s)

Comme pour les obstacles cernés ci-dessus, les auteurs soulignent plusieurs recommandations de haut niveau que les gouvernements peuvent envisager afin de protéger et de restaurer les zones humides. Ces recommandations concernent l’augmentation du financement, tant pour les projets eux-mêmes que pour la capacité institutionnelle à mettre en œuvre avec succès les infrastructures naturelles. Mis à part les besoins en matière de financement, plusieurs des options présentées font appel à un changement dans la manière dont les zones humides sont considérées et présentent un cadre de travail pour ce faire. Par exemple, une reconnaissance explicite des avantages connexes des zones humides dans la prise de décisions peut améliorer le profil des solutions fondées sur la nature lorsqu’elles sont comparées aux infrastructures grises classiques ou aux stratégies d’adaptation techniques. Une autre suggestion semblable consiste à modifier les exigences actuelles de financement du fédéral. À l’heure actuelle, l’Optique des changements climatiques, un cadre de travail créé par Infrastructure Canada et utilisé dans le cadre de projets à la recherche de financement auprès de nombreux programmes fédéraux, évalue la sensibilité des actifs aux changements climatiques plutôt que les effets de l’actif sur la sensibilité d’une communauté au phénomène. Il pourrait être utile d’attirer davantage l’attention sur les avantages des infrastructures naturelles pour améliorer le profil des projets. La liste complète des suggestions se trouve ci-dessous :

  • Accorder la priorité à la protection des zones humides existantes
  • Augmenter le financement des infrastructures naturelles
  • Offrir un soutien financier pour le renforcement des capacités et la collaboration entre les ministères
  • Reconnaître explicitement les avantages connexes
  • Encourager la prise de mesures sur les terres privées
  • Améliorer le profil des infrastructures naturelles grâce à l’Optique des changements climatiques (cadre d’évaluation d’Infrastructure Canada)

De plus, en 2021, la Ville de Calgary a entrepris une évaluation des actifs naturels, ce qui permettra d’établir et d’éclairer les mesures pertinentes dans l’ensemble des plans municipaux ainsi que dans les plans axés sur le climat.

Ressources

Lien vers l’étude de cas complète (en anglais seulement)

Ressources supplémentaires (en anglais seulement):