La considération de l’impact des changements climatiques dans l’évaluation environnementale de projets de stabilisation des berges dans la région de la Côte-Nord, Québec

L’Observatoire québécois de l’adaptation aux changements climatiques (OQACC) de l’Université Laval, le consortium Ouranos et le laboratoire SSL (Sustainable Solutions Lab) de l’Université du Massachusetts à Boston ont élaboré six études de cas. Ce projet est réalisé grâce au soutien financier du Programme d’adaptation aux changements climatiques de Ressources naturelles Canada et du Gouvernement du Québec, dans le cadre des Fonds de recherche du Québec ainsi que du Plan pour une économie verte 2030. Ces études de cas ont permis d’établir les facteurs qui motivent les instances publiques à développer des instruments de politiques spécifiques en réponse aux changements climatiques, ainsi que d’autres facteurs qui facilitent leur mise en œuvre et qui favorisent leurs effets positifs.

Les projets de stabilisation des berges sont considérés comme des adaptations aux changements climatiques, mais ils peuvent avoir des impacts environnementaux importants et même accélérer l’érosion côtière, dans certains cas. L’évaluation environnementale liée à ce type de projet est donc importante pour prévenir des adaptations qui pourraient rendre certaines communautés encore plus vulnérables aux changements climatiques.

La présente étude de cas, élaborée par l’OQACC, se penche principalement sur l’adaptation aux changements climatiques dans l’un des outils de la procédure d’évaluation et d’examen des impacts environnementaux (PÉEIE) : la directive concernant la réalisation d’une étude de l’impact environnemental des projets de stabilisation de berges. L’étude examine également les défis concernant l’élaboration et l’évaluation environnementale des projets de stabilisation des berges dans la région de la Côte-Nord. Par ailleurs, elle souligne l’importance des outils d’aménagement du territoire pour le développement d’une vision à long terme et pour planifier le déplacement de certaines infrastructures lorsque cela devient inévitable.

Comprendre et évaluer les impacts

Dans l’est du Québec, les changements climatiques provoquent une réduction de la couverture des glaces marines pendant l’hiver, contribuant ainsi à faire augmenter l’impact érosif des vagues sur les côtes. L’augmentation de l’intensité des tempêtes et l’élévation relative du niveau de la mer augmentent également les risques d’érosion et de submersion. En raison des changements climatiques, les phénomènes naturels d’érosion et de submersion se multiplient et s’intensifient. Là où la route se situe loin du littoral, les écosystèmes côtiers peuvent se déplacer vers l’intérieur des terres, et un nouvel équilibre peut s’établir. Cependant, lorsque la route en est rapprochée, elle empêche ce déplacement et entraîne un coincement côtier, un phénomène connu sous le nom anglais de « coastal squeeze ».

Dans son Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques, la province de Québec s’engage à intégrer la considération des changements climatiques dans le régime d’autorisation environnementale. Le processus d’évaluation environnementale vise à :

  • prévenir la détérioration de la qualité de l’environnement et à maintenir la biodiversité, la connectivité, la productivité et la durabilité des écosystèmes;
  • assurer le respect de la sensibilité des composantes physiques, biologiques et humaines du milieu récepteur;
  • protéger la vie, la santé, la sécurité, le bien-être et le confort des personnes, et à promouvoir et à soutenir la participation des membres de la population dans le cadre de l’évaluation des projets qui influencent leur environnement.

Un guide à l’intention des initiateurs de projets, intitulé « Les changements climatiques et l’évaluation environnementale », a été élaboré pour favoriser cette considération dans la conception des projets, les études d’impacts et les demandes d’autorisations environnementales. Le guide offre des conseils sur la manière d’intégrer les projections climatiques dans l’évaluation environnementale, y compris les variables climatiques à prendre en compte, notamment les changements touchant les températures et les précipitations, la cartographie des plaines inondables, les scénarios d’émissions et les horizons temporels.

Déterminer les actions

Les localités et les activités humaines dans cette région sont établies le long de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. La route 138 est la seule voie d’accès aux communautés de cette région et elle est menacée à plusieurs endroits par l’érosion côtière. Le ministère des Transports du Québec (MTQ) est l’initiateur qui présente le plus souvent des demandes d’autorisations environnementales pour des projets de stabilisation des berges dans cette région. Les projets de stabilisation des berges sont souvent envisagés comme des solutions adaptatives aux impacts des changements climatiques. Cependant, ces projets peuvent avoir des conséquences environnementales négatives importantes, comme des risques accrus d’érosion à long terme. Si ces projets sont mal planifiés, ils peuvent nuire à l’adaptation et ainsi accroître la vulnérabilité de la zone aux impacts des changements climatiques. Les processus de la PÉEIE peuvent contribuer à prévenir une adaptation inadéquate.

Lorsque l’étude d’impacts est jugée recevable, une analyse environnementale est réalisée par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP). Dans le cas d’une recommandation favorable, le dossier est ensuite soumis au Conseil des ministres afin d’obtenir une autorisation par décret. L’autorisation environnementale comprend toujours une série de conditions et d’engagements pris par l’initiateur pour atténuer les impacts du projet relatifs aux différents enjeux cernés.

Mise en oeuvre

La prise en compte des changements climatiques dans le cadre du processus de la PÉEIE permet d’améliorer les projets de stabilisation des berges, de les rendre plus adaptés et durables, de mieux anticiper les coûts futurs et d’aider les initiateurs de projets à réduire les coûts à long terme.

Lors de l’élaboration de l’étude de cas en 2020-2021, l’exigence de prise en compte des changements climatiques était récente et il n’y avait pas d’exemples de l’intégration des changements climatiques dans les études d’impacts environnementaux des projets de stabilisation des berges dans cette région. Le MELCCFP a néanmoins pu aborder la prise en compte des changements climatiques dans ses questions et commentaires sur les études d’impact de deux projets faisant l’objet du processus de la PÉEIE. Le Projet de stabilisation des berges de la rivière Mingan, dans la municipalité Longue-Pointe-de-Mingan, a été initié par le ministère des Transports du Québec. La firme de génie-conseil Englobe, qui avait réalisé l’étude d’impacts, a fait valoir que la conception était robuste, prévoyant un intervalle de récurrence des crues de 100 ans, alors qu’une récurrence de 50 ans est généralement jugée acceptable. Dans une deuxième série de questions et commentaires, le MELCCFP a demandé des précisions et exprimé des réserves liées au fait que les débits considérés dépassaient largement ceux prévus dans l’Atlas hydroclimatique du Québec méridional, ce qui risquait de conduire à un ouvrage surdimensionné. Dans sa réponse à cette deuxième série de questions et de commentaires, la firme de génie-conseil Englobe a indiqué qu’elle avait correctement calculé les débits de crue en se basant sur ceux mesurés dans les stations avoisinantes. Elle a pu démontrer que le facteur de majoration de 9,4 % entre les crues de 50 et de 100 ans était proche du facteur de majoration du débit des crues prévu dans l’Atlas, qui était de 6,9 % à l’horizon 2050.

Pour le projet de stabilisation du secteur de la plage Rochelois à Port-Cartier, un projet initié par la municipalité de Port-Cartier prévoyant le rechargement de la plage et un épi en enrochement, le MELCCFP a demandé des précisions pour s’assurer que l’élévation du niveau de la mer avait été considérée dans la conception.

Les changements climatiques peuvent également être envisagés lorsqu’un projet est exempté de la PÉEIE. En avril 2020, la municipalité du village de Pointe-aux-Outardes a présenté une demande d’exemption de la procédure pour un projet de rechargement d’urgence de la plage à l’est du quai municipal. Parmi les mesures à intégrer au projet, afin d’éliminer ou de réduire l’intensité des impacts négatifs et des désagréments associés aux travaux, le décret gouvernemental d’exemption dans le cadre du projet stipule ce qui suit :

Les risques découlant des conditions climatiques et hydrologiques qui pourraient survenir pendant le cycle de vie de l’ouvrage de protection, c’est-à-dire le rechargement, et qui sont susceptibles d’avoir une répercussion sur celui-ci doivent être pris en compte dans la conception, la planification et la réalisation du projet. Des mesures doivent être mises en œuvre, le cas échéant, pour adapter le projet et protéger suffisamment l’environnement, les personnes et les biens pour une durée équivalente à celle du projet.

Dans le cas de la municipalité de Pointe-aux-Outardes, la procédure d’évaluation environnementale a commencé en 2008. Celle-ci a permis d’améliorer la conception du projet, mais a également occasionné d’importants retards.

Résultats et suivi des progrès

Depuis mars 2018, il faut tenir compte des impacts liés aux changements climatiques dans le cadre des projets assujettis à la PÉEIE. La prise en compte des changements climatiques est également précisée comme l’une des conditions pour la réalisation des projets exemptés de la procédure en raison de leur caractère urgent. L’introduction de cette exigence a mené à une période de transition qui a nécessité le traitement rétroactif de cette considération dans les projets déjà élaborés. Dans les nouveaux projets, les changements climatiques sont pris en compte dès la phase de conception.

Les obstacles à franchir pour le MELCCFP et les initiateurs de projets sont les suivants :

  • Une période de transition pendant laquelle les outils n’étaient pas tous disponibles et où les changements climatiques devaient être considérés rétroactivement pour les projets dont l’étude d’impacts avait déjà été élaborée.
  • En raison des retards, les projets deviennent souvent urgents et doivent être exemptés de la procédure.
  • La difficulté de réaliser des projets de compensation de l’habitat du poisson dans le même bassin versant (exigence du MPO) prolonge les délais.
  • L’un des obstacles à l’adoption des projets de rechargement de plages concerne le fait que les ingénieurs québécois ont moins d’expérience dans ce domaine.

De plus, le déplacement de tronçons de route pose plusieurs problèmes, dont les suivants :

  • Coûts importants;
  • Réticence de la part des résidents qui seraient obligés de déménager;
  • Modification de zonage, expropriations ou présentation de nouvelles autorisations environnementales parfois nécessaires;
  • Mise en œuvre plus longue et donc pas privilégiée en cas d’urgence.

Les réflexions sur l’aménagement du territoire pourraient inclure l’examen des options de déplacement ainsi que la possibilité de restaurer les plages et de créer des installations touristiques récréatives sur les rives. Il serait plus facile d’accepter le déplacement s’il était envisagé progressivement et à long terme et s’il apportait des avantages aux communautés. De plus, un examen proactif des options de déplacement pourrait accroître les possibilités pour ces communautés, car le fait d’attendre que la situation devienne urgente limite les options disponibles et peut entraîner de longs retards lorsqu’un dézonage est nécessaire.

Prochaine(s) étape(s)

De façon générale, comme l’indique son Plan stratégique 2019-2023, le MTQ vise à rendre ses pratiques de gestion plus préventives et entend élaborer une approche intégrée et concertée qui assurera la gestion des contextes dans lesquels se déroulent des interventions d’urgence ou d’urgence imminente.

Plusieurs pistes sont présentées par l’OQACC pour aller de l’avant :

  • Dans le cadre de son Plan d’action pour la gestion des infrastructures dans un contexte de changements climatiques, le MTQ envisage une démarche intégrée et concertée pour rendre ses approches plus préventives. Des progrès importants devraient être réalisés au cours des prochaines années.
  • L’investissement dans des projets pilotes et dans l’ensemble du cycle de vie des projets (y compris la surveillance, l’entretien et les éventuels ajustements) par le MTQ et dans des programmes de prévention des sinistres contribuerait à promouvoir des approches douces ainsi qu’une adaptation modulée dans le temps (ou gestion adaptative).
  • La prise en compte des risques d’érosion et de submersion par les municipalités régionales de comté (MRC) dans leurs plans d’aménagement et de développement permet d’établir une vision à long terme, d’amorcer des discussions avec les intervenants locaux et les différents ministères concernés afin de pouvoir envisager, plus globalement, le déplacement de certains tronçons de la route 138.

Ressources