Analyse économique des mesures d’adaptation aux changements climatiques appliquée au secteur du ski alpin au Québec

En 2018, le consortium Ouranos a entamé avec la collaboration d’une dizaine de parties prenantes une étude sur les impacts des changements climatiques sur l’industrie du ski dans le sud du Québec.

Publié en 2019, le rapport final du projet analyse les caractéristiques de l’industrie québécoise du ski, utilise les projections climatiques locales pour établir les impacts des changements climatiques et cible une variété de mesures d’adaptation analysées en fonction de leur rentabilité économique. Le projet vise à établir des mesures d’adaptation concrètes pour trois stations de ski spécifiques : Bromont, Sutton et Orford, qui, étant localisées dans la région « chaude » du sud du Québec, sont plus vulnérables à un réchauffement des températures hivernales et une baisse du couvert neigeux. L’étude offre de plus un modèle d’analyse économique qui pourra être repris par les stations de ski dans d’autres régions de la province ou ailleurs au Canada.

Comprendre et évaluer les impacts

Les sports de plein air sont un aspect important de la culture hivernale du Québec. En plus de s’inscrire dans le quotidien d’une part importante de la population, certaines activités sont aussi une source de tourisme et génèrent d’importantes retombées économiques dans plusieurs régions éloignées des grands centres. Le ski alpin est l’une de ces activités-phares, avec 75 stations de ski réparties dans 16 régions touristiques de la province.

Cependant, la pratique de ces activités hivernales est compromise par les changements climatiques. Les projections pour la province prévoient un réchauffement des températures moyennes hivernales, une baisse du couvert neigeux et une augmentation des précipitations liquides en hiver. Ces projections risquent d’avoir un impact négatif sur les conditions de pratique de sports hivernaux, qui nécessitent une neige abondante et des températures froides et stables. Ceci représente donc une menace envers l’industrie du plein air hivernal et la prospérité des nombreuses communautés qui en dépendent.

Ce constat a mené le consortium Ouranos, l’Association des stations de ski du Québec, les stations de ski Bromont, Sutton et Orford ainsi que l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à collaborer sur une étude permettant d’évaluer de façon approfondie l’impact des changements climatiques sur l’industrie du ski au Québec et d’identifier des actions d’adaptation que les opérateurs de station pourront mettre en œuvre afin de maintenir le niveau d’activité de leurs sites. Ce projet a aussi intégré l’apport de différents acteurs locaux, tels que les municipalités régionales de comté (MRC) et des organismes de développement économique. La démarche visait à travailler en concertation avec les milieux en utilisant des cas spécifiques tout en produisant des résultats qui pourraient aussi être utilisés par les stations de ski d’une variété de régions dans le cadre de développement de stratégies locales d’adaptation aux changements climatiques.

Afin de mieux évaluer les différentes actions d’adaptation possibles, l’équipe de projet a d’abord réalisé un portrait de l’industrie et des changements climatiques associés. Ce portrait comprend une revue des savoirs sur les changements climatiques et l’industrie du ski alpin, ainsi qu’une analyse des projections climatiques spécifiques à la région des Cantons-de-l’Est.

Cette analyse a d’ailleurs révélé qu’en l’absence d’adaptation, le début de la saison sera retardé d’environ 7 à 10 jours à l’horizon 2050 par rapport à 2020. De plus, la saison de ski devrait voir une diminution de 10 à 20 jours d’opération. Toutefois, cette diminution ne compromettra pas la capacité des stations ciblées par l’étude à opérer au-dessus du seuil minimum de 100 jours de ski. Finalement, le domaine skiable disponible pourrait baisser de 20 à 30 % des pistes ouvertes, en moyenne, pour les trois stations à l’horizon 2050.

Déterminer les actions

Une première sélection de mesures d’adaptation à la fois technologiques et comportementales a été élaborée à travers des recherches documentaires et des séances de discussions impliquant des acteurs de l’industrie, des représentants sectoriels, des représentants régionaux et des experts en tourisme. L’équipe de recherche a par la suite retenu un nombre restreint de mesures d’adaptation à reporter pour l’analyse détaillée, en collaboration avec les stations de ski participantes. La liste finale analysée comporte à la fois des mesures d’adaptation technologiques et des mesures basées sur la diversification du modèle d’affaires des stations. L’analyse de ces dernières comporte cependant une plus grande incertitude, puisque des études de marché seraient nécessaires pour une estimation plus précise des revenus potentiels futurs. Les mesures d’adaptations considérées ont toutes été soumises à une première évaluation ; soit une analyse multicritère. Par la suite, certaines mesures qui s’y prêtaient ont aussi été soumises à une analyse coûts-avantages ainsi qu’une analyse par seuil de rentabilité.

L’analyse multicritère visait à avoir une vision globale des effets possibles des mesures d’adaptation aux changements climatiques, non seulement sur la viabilité économique des stations de ski, mais aussi sur l’environnement et la société. Contrairement aux analyses économiques plus conventionnelles, cette méthode permet de mieux intégrer les externalités positives et négatives à l’évaluation. Par exemple, alors que l’accroissement de la capacité de fabrication de neige risque d’augmenter la pression locale sur les ressources en eau, le développement d’activités toutes saisons peut participer à la réduction du chômage saisonnier. Les impacts potentiels liés à chaque critère ont été identifiés par revue de littérature internationale et l’avis d’experts multidisciplinaires, et consiste en des appréciations qualitatives qui devront éventuellement être complémentées par les évaluations d’impact quantitatives habituellement requises dans le cadre règlementaire de projets économiques touchant à l’environnement.

L’analyse multicritère comportait cinq critères : 1) Faisabilité de la mesure 2) Effet sur la qualité de l’environnement 3) Effet sur l’économie 4) Effet sur les enjeux sociaux/régionaux et, finalement, 5) Durabilité et innovation. Une variété d’indicateurs ont été choisis pour mesurer ces critères, et ont été évalués selon une échelle de gradation allant de « défavorable/très défavorable » à « très favorable ».

Plusieurs constats se sont dégagés de l’analyse multicritère : l’accroissement de la capacité d’enneigement est essentiel, mais ne peut être l’unique solution, la gestion de l’eau est une considération importante à intégrer pour les opérateurs des stations à la fois pour des raisons d’approvisionnement et d’acceptabilité sociale et, finalement, les mesures jugées les plus prometteuses sont celles aux résultats moins clairs aux premiers abords, mais favorisant la collaboration entre les différents acteurs locaux.

En plus de l’analyse multicritère, des analyses coûts-avantages ont été menées seulement sur les mesures d’adaptation liées à la fabrication de neige et ont révélé que le coût d’électricité est un facteur déterminant de la rentabilisation des investissements en fabrication de neige. Pour certaines mesures d’adaptation, des analyses par seuil de rentabilité ont été faites, telles la mise à niveau des infrastructures, ou l’installation d’une piste de ski synthétique pour l’été. L’analyse montre que pour que ces investissements soient rentabilisés, il faudrait pour la plupart des augmentations substantielles de clientèle et ces mesures devraient donc être combinées à des efforts marketing et de développement de marché.

Mise en oeuvre

Comme le rapport a été publié relativement récemment et qu’entre-temps la pandémie de covid-19 a considérablement interféré dans les activités des stations de ski, les stations concernées n’ont pas partagé d’information sur la mise en œuvre des mesures d’adaptation aux changements climatiques étudiées.

Résultats et suivi des progrès

Trois résultats significatifs sont ressortis de la démarche de ce rapport. Tout d’abord, la collaboration requise pour la collecte de données et l’évaluation des mesures ont permis de mobiliser l’industrie du ski de la province, ainsi que ses partenaires. La participation d’une variété d’acteurs a ouvert la porte à un meilleur partage de l’information et la possibilité de développer de nouveaux partenariats locaux bénéfiques, en particulier pour la mise en œuvre de certaines des mesures d’adaptation centrées sur le tourisme régional. Deuxièmement, des mesures concrètes d’adaptation pour cette industrie ont pour la première fois été évaluées de façon méthodique dans le contexte québécois, entre autres grâce au simulateur d’investissement en adaptation aux changements climatiques. L’étude approfondie de ces mesures dans le contexte local des Cantons-de-l’Est et le développement d’un outil d’analyse économique ouvre la porte au développement de nouvelles solutions ancrées dans le contexte québécois et sert ainsi de base de planification et d’action pour les centres de ski ailleurs dans la province. En dernier lieu, le développement par l’équipe de projet d’une modélisation de la neige pour la région est un avancement scientifique important pour optimiser les plans d’enneigement et donc réduire à la fois les coûts d’exploitation et l’impact environnemental des stations de ski. Ce modèle pourra d’ailleurs être utilisé dans le futur autant par les scientifiques que par l’industrie du plein air pour mieux comprendre les conditions locales d’enneigement.

Prochaine(s) étape(s)

Une nouvelle étude est actuellement en préparation, visant cette fois l’industrie de façon plus large en constituant un échantillon représentatif de stations distribué à travers les 16 régions touristiques de la province. Celle-ci visera à diagnostiquer la vulnérabilité du secteur du ski au Québec en évaluant les facteurs de sensibilité et de capacité d’adaptation à travers l’industrie et identifiera les risques et opportunités face aux changements climatiques pour donner lieu à un plan de résilience sectoriel.

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